En tant que militantes et militants antifascistes et antiracistes actifs, dans certains cas, depuis des dizaines d’années dans les luttes contre l’extrême droite à Montréal, à Québec et ailleurs au Québec et au Canada, nous tenons à nous dissocier de la façon la plus claire possible des positions et propos tenus dans les médias ces derniers temps par Maxime Fiset, porte-parole du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), notamment dans l’article paru aujourd’hui dans La Presse sous le titre Les assauts de l’extrême gauche se multiplient au Québec.

Nous connaissons bien le goût des médias grand public pour les récits simplistes ainsi que leur affection particulière pour les spécialistes patentés (toujours les mêmes) appelés en renfort pour cautionner ces récits biaisés. Mais la cause que nous défendons est trop importante pour que nous laissions aux médias et à leurs soi-disant experts le loisir d’en fausser le sens au nom d’une doctrine simpliste et contre-productive qui n’est pas et n’a jamais été la nôtre.

Il convient d’abord de rappeler que monsieur Fiset était lui-même toujours actif dans les réseaux fascistes, notamment comme membre fondateur de la Fédération des Québécois de souche et comme modérateur local du forum suprémaciste Stormfront, quand certains et certaines d’entre nous se battaient littéralement contre ses petits amis néonazis dans les rues de la métropole ou subissaient des attaques au couteau dans la capitale.

Bien que nous n’ayons a priori aucune raison de douter de l’authenticité de son retournement idéologique, vous comprendrez le malaise que certain-e-s d’entre nous éprouvent de le voir aujourd’hui sur toutes les tribunes s’exprimer en leur nom.

Si monsieur Fiset était autrefois décidément néonazi, le discours qu’il porte aujourd’hui est davantage « extrême centriste » que de gauche. Il s’imagine au-dessus de la mêlée et suppose une symétrie entre l’extrême droite et l’extrême gauche et, ainsi, relativise la violence et le danger que représente réellement la première par rapport à la seconde. Par définition, ce discours ne correspond aucunement aux positions politiques d’un très large pan de l’opposition antiraciste et antifasciste, laquelle est historiquement et jusqu’à ce jour communiste, anarchiste et explicitement radicale.

La gauche dans la ligne de mire des antiracistes d’État

Cette contradiction ne devrait surprendre personne, car Fiset n’a jamais caché le fait qu’il agit en tant que représentant d’un organisme parapolicier, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV). Cet organisme a été mis sur pied par le gouvernement en 2015 dans le but de contrer la « radicalisation » de quelques jeunes musulman-e-s dans certains cégeps montréalais.

Fiset a déjà expliqué que le CPRMV comporte quatre axes de recherche : la droite, la gauche, les religieux/euses, ainsi que des individus qui se radicalisent autour de leur propre vendetta. Il n’y a donc aucune place à l’ambiguïté : la gauche (et à plus forte raison l’extrême gauche) ne fait pas partie des alliés du CPRMV, mais de ses cibles.

Le CPRMV définit la « radicalisation violente » comme incluant nécessairement la volonté d’utiliser ou d’encourager la violence menaçant la « vie en commun » dans la société.  Une formule dont l’interprétation dépend nécessairement des critères idéologiques de celui ou celle qui l’applique. Cette perspective omet totalement la violence et la militarisation des États, comme si ces derniers étaient idéologiquement neutres ou nécessairement au centre de l’échiquier politique. De plus, le CPRMV inclut dans son domaine de recherche des groupes qui ne rentrent pas dans cette catégorie déjà assez floue, mais qui pourraient toutefois servir d’« incubateur » à des individus ou des tendances qui pourraient se radicaliser à l’avenir. Il s’agit donc d’un domaine de recherche extrêmement vaste.

Les entités comme le CPRMV sont des éléments caractéristiques du paysage lorsqu’on s’engage dans la lutte antifasciste. L’antifascisme n’est pas une bataille simple entre deux adversaires, soit nous contre les nazillons. C’est une lutte à trois, dans laquelle il nous faut nous battre non seulement contre l’extrême droite mais aussi contre des organismes étatiques et paraétatiques qui sont tout aussi hostiles (sinon plus) à la gauche radicale qu’à l’extrême droite. Le plus souvent, ces entités étatiques et paraétatiques bénéficient de relations privilégiées avec les médias et d’autres organes de l’État, ainsi que d’un financement généreux qui leur permet de prendre énormément de place dans le débat public sur l’extrême droite.

En tant qu’antifascistes radicaux ayant des racines historiques dans la gauche révolutionnaire, les activités de ces antifascistes d’État nous confrontent à des défis et des risques. Compte tenu des ressources dont ils disposent, ces groupes produisent souvent des renseignements au sujet de l’extrême droite qui nous sont utiles. Des groupes comme l’Anti-Defamation League et le Southern Poverty Law Center aux États-Unis, par exemple, sont encore parmi les principales sources d’information sur les individus et les organisations d’extrême droite. Même lorsque des personnes plus proches de nous produisent des reportages sur nos adversaires d’extrême droite, elles s’appuient souvent (mais pas toujours) sur des dossiers produits par ces entités paraétatiques. Mais par contre, nous voulons éviter de renforcer le profil de tels groupes, car il est fort probable qu’un jour ou l’autre ils utiliseront leur position non seulement pour saper nos efforts, mais aussi pour faciliter la répression visant les antifascistes radicaux et leurs allié-e-s.

La forme que ce travail répressif peut varier, et tous les sales coups ne sont pas égaux, bien sûr. Faire des amalgames entre l’extrême gauche et l’extrême droite, mettre sur un pied d’égalité la violence oppressive et la violence CONTRE l’oppression, demander d’élargir les pouvoirs répressifs de l’État – tout cela fait partie de la fonction normale des antifascistes d’État, même des groupes qui peuvent par ailleurs se trouver de notre bord dans certaines campagnes. Et même aussi des personnes bien intentionnées qui peuvent par ailleurs faire du bon travail dans certains cas.

Mais ces groupes peuvent aussi prendre parti plus activement contre nous. L’exemple le plus connu concerne l’Anti-Defamation League (ADL) qui, dans les années 1980, est allée jusqu’à monter une véritable opération d’espionnage, en collusion avec le régime d’apartheid d’Afrique du Sud, pour recueillir des renseignements sur des dizaines d’organisations d’extrême gauche et anti-impérialistes. Dans certains cas, les espions de l’ADL sont même allés jusqu’à encourager et à créer des liens entre des néonazis et des organisations propalestiniennes pour pouvoir ensuite dénoncer à grands cris « l’antisémitisme » de ces dernières. Le scandale a éclaté lorsque le voile a été levé sur cette opération en 1993, et après plusieurs années en cour, l’ADL a été obligée de payer des centaines de milliers de dollars à des personnes qu’elle avait ciblées. Impossible de dire si l’ADL s’est à nouveau abaissée à ce genre d’opération clandestine depuis cet épisode peu glorieux.

Plus près de nous, une soi-disant « Ligue antifasciste mondiale » (LAM) était active à Montréal dans les années 1990. Issue de la lutte de rue contre des boneheads néonazis, et suite à des pressions policières, la « ligue » s’est principalement impliquée dans la collecte (et le partage avec la police) de renseignements et spécialisée dans les déclarations aux médias. L’une de ses principales priorités était de critiquer les autres forces antifascistes, notamment le Centre canadien sur le racisme et les préjugés. En 1993, tandis qu’étaient organisées les plus grandes manifestations antifascistes à Montréal depuis des années contre la venue du Heritage Front néonazi de Toronto et de représentants du Front National français, la LAM a surtout agi pour saboter les mobilisations militantes! Finalement, elle est allée jusqu’à dénoncer publiquement des anarchistes de la revue Démanarchie à la police et dans les médias suite aux émeutes de la Saint-Jean à Québec en 1996. Il a été révélé par la suite que la LAM avait partagé pendant des années des renseignements sur la gauche avec la police.

On note avec amusement que la LAM avait toujours travaillé en étroite collaboration avec Yves Claudé, alias Yves Alix, un « chercheur » qui s’est lui-même promené de la gauche à l’extrême droite au fil des ans. On ne sait toujours pas pour qui Claudé travaille réellement, puisqu’il « fait de la recherche » et prend des photos d’amis et d’ennemis où qu’il aille. Son récent « exposé » sur les antiracistes dans les pages de l’Aut’journal n’est vraiment rien de plus qu’une mise à jour surréaliste du genre de désinformation qu’il produisait déjà il y a vingt ans.

Si les dérives de la LAM et de l’ADL montrent jusqu’où peut aller l’antifascisme d’État, il est clair  que des opérations aussi grossières nuisent à sa fonction primaire, qui est justement de prévenir la radicalisation et de gérer la crise idéologique dans laquelle le capitalisme se trouve. La modalité préférée des organismes de l’antifascisme d’État est de jouer au nice cop, de se faire inviter dans nos espaces, d’avoir une place dans nos réseaux, de s’exprimer en tant qu’« allié critique », tout ça pour mieux nous comprendre et, éventuellement, nous cibler et nous déstabiliser plus efficacement le moment venu. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les agissements et les propos de M. Fiset et du CPRMV.

Maxime Fiset et le CPMVR nuisent activement à la lutte antifasciste

Jusqu’à tout récemment, l’omniprésence de M. Fiset n’était pour nous qu’un irritant de plus dans le paysage sociopolitique et médiatique. Or, dans une récente entrevue accordée au journal communautaire Droit de parole, il a dépassé les limites de la décence élémentaire en nommant expressément un groupe actif du milieu antifasciste de Montréal dans des termes hostiles et condescendants qui, en plus de semer la discorde, donne du grain à moudre à la police et au militant-e-s d’extrême droite et expose d’autant plus nos camarades à la répression et aux représailles.

Avant cela, M. Fiset s’était épanché sur toutes les tribunes, le 20 août dernier, pour déclarer La Meute victorieuse d’un face à face tendu à Québec où cette dernière était restée confinée dans un stationnement sous-terrain pendant cinq heures, assiégée par des centaines d’antiracistes et d’antifascistes. Par quelle contorsion logique en arrive-t-il à considérer que La Meute est sortie victorieuse de cette humiliante situation? En concluant qu’un groupe d’antifascistes qui avaient renversé des poubelles, lancé des chaises de parterre et d’autres projectiles dans la direction de la police et agressé physiquement une poignée d’individus identifiés au mouvement ultranationaliste ont de facto « perdu la bataille des relations publiques », délégitimé l’ensemble de la mobilisation antiraciste et par voie de conséquence, légitimé le discours raciste de La Meute! (Il a d’ailleurs récidivé tout récemment en disant à Al Jazeera que l’extrême-droite jouissait actuellement au Québec d’une « légitimité accrue », confirmant du coup sa propre prophétie, et encore dans l’article de La Presse du 23 novembre intitulé Les assauts de l’extrême gauche se multiplient au Québec -véritable opération de diabolisation de l’extrême gauche curieusement lancée par l’establishment libéral à 48 h d’une manifestation d’extrême droite à Québec- où Fiset compare carrément le site de propagande anarchiste Mtl Counter-Info à un « blogue djihadiste ».) Tout ce raisonnement est évidemment fallacieux et indique un différend majeur entre la posture politique de M. Fiset et celle de la majorité du mouvement antifasciste militant.

Nommément, M. Fiset s’attache dogmatiquement à ce qu’on appelle la « non-violence », tandis que le mouvement antifasciste international, de ses débuts dans les années 1920 jusqu’à aujourd’hui, adhère à une diversité de tactiques incluant (mais sans s’y limiter) le recours à la violence contre les courants organisés d’extrême droite, fascistes et ultranationalistes. L’objectif de ces mouvements étant de bloquer la dérive fasciste par tous les moyens nécessaires. (À ce titre, nous ne saurions que recommander à M. Fiset la lecture de Antifa : The Anti-Fascist Handbook, qui participerait sans doute à combler certaines lacunes importantes dans son analyse.)

Comme l’écrit Peter Gelderloos dans son livre incontournable Comment la non-violence protège l’État :

« Nous pensons que les tactiques devraient être choisies en fonction de chaque situation particulière, et non pas déduites à partir d’un code moral préconçu. Nous tendons également à penser que les moyens se reflètent dans les fins, et nous ne voudrions pas agir d’une façon qui conduirait invariablement à la dictature ou à quelqu’autre forme de société qui ne respecte pas la vie et la liberté. Ainsi, nous serons plus judicieusement décrits comme défenseurs d’un activisme révolutionnaire ou militant, que comme défenseurs de la violence. »

En tant qu’antifascistes et antiracistes, nous ne sommes ni pour, ni contre la violence intrinsèquement. Par contre, nous soutenons l’action directe et des stratégies d’actions diversifiées. Nous sommes politiquement « radicaux » (au sens premier du terme, c’est-à-dire que nous désirons nous attaquer à la racine –radix– des problèmes), nous ne nous en cachons pas, et croyons que la violence est parfois nécessaire contre l’extrême droite et la dérive fasciste. Mais n’admettant pas l’autorité de l’État, nous sommes aussi contre la répression policière d’un État qui met par ailleurs en place des conditions socio-économiques favorables à l’émergence de l’extrêmedroite et qui protège ensuite le« droit » de celle-ci de parader dans les rues et de diffuser ses idées toxiques.

Cette position « radicale », à la fois contre l’extrême droite et contre l’État, nous inscrit d’emblée en faux contre M. Fiset, son centre, et la vision libérale moralisante qu’ils défendent. Ainsi, nous n’avons jamais entendu M. Fiset s’exprimer sur les violences et dérives policières à Québec ou à Montréal. Nous ne l’avons jamais entendu dénoncer les excès de violence physique, économique et symbolique de l’État et de son bras armé qui cultivent le terreau où germe l’extrême droite.

Le pacifisme moralisateur de personnages comme M. Fiset s’inscrit dans une forme d’hégémonie idéologique servant l’État et sa répression plutôt que de soutenir les mouvements sociaux. Nous croyons au contraire que la montée de l’extrême droite et la répression policière contre toute forme de contestation nécessitent une résistance tout aussi forte.

Plusieurs tactiques doivent travailler de concert, dans des stratégies communes, au moment opportun. Il y aura certes des débordements qui peuvent être critiqués, ce que nous ne nous sommes pas privés de faire (y compris à Québec le 20 août 2017). Toutefois, ce n’est pas la violence en tant que telle qui doit alors être critiquée, mais son utilisation peu productive ou peu stratégique dans des circonstances données, le cas échéant.

Pour conclure, nous n’acceptons pas que monsieur Fiset s’exprime en notre nom dans les médias, ni d’ailleurs au nom de l’ensemble des antiracistes ou de la cause antiraciste. En tant que spécialiste patenté de l’extrême droite, Maxime Fiset fait pour nous figure d’imposteur. Il ne représente que lui-même et son centre, lequel n’est en fin de compte qu’un porte-voix au service de l’État libéral que nous combattons en même temps que la peste brune et l’extrême-droite.

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