Le terme « alt-right », ou « droite alternative », désigne un mouvement d’extrême droite qui s’est développé au courant de la dernière décennie, d’abord aux États-Unis, puis dans la plupart des pays de culture anglo-saxonne et ailleurs en Europe, et dont l’expansion a principalement (sinon exclusivement) découlé de sa prolifique activité sur Internet. Le mouvement alt-right (qu’on pourrait plus judicieusement décrire comme un « grand chapiteau », tellement il regroupe de tendances distinctes) a beaucoup gagné en visibilité en 2016, surtout en raison de son appui à la candidature de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Suite à l’élection de ce dernier, et sous l’effet d’une vigoureuse mobilisation antifasciste en Amérique du Nord, l’alt-right a perdu énormément de terrain et de légitimité dans les dernières années, tout particulièrement dans la foulée du fiasco historique du rassemblement « Unite the Right » à Charlottesville, en Virginie, en août 2017.

Certains spécialistes comme certains adversaires idéologiques ont tendance à définir l’alt-right en réduisant le phénomène à ses manifestations les plus grotesques, et à l’opposé, l’étiquette a souvent été utilisée pour décrire sans distinction tout ce qui se trouve à droite de la droite traditionnelle. Nos ennemis étant toutefois plus complexes qu’on voudrait bien le croire, tout le monde à droite (ou à l’extrême droite) n’est pas forcément alt-right, et l’alt-right est en soi un mouvement qui contient de multiples tendances et influences. Bien que ses divers tenants partagent un certain nombre de principes de base, il faut comprendre que l’alt-right est en fait une convergence de nombreux courants complémentaires, allant de l’alt-light (un terme qui désigne une version « présentable », superficiellement débarrassée des pires excès rhétoriques, et divers groupes et personnes influencés par l’alt-right, mais qui préfèrent ne pas s’identifier à ce mouvement) aux réseaux suprémacistes et néonazis (dont certains éléments vont effectivement jusqu’à prôner l’extermination de multiples boucs émissaires désignés et le recours à la violence de masse pour précipiter une guerre civile/raciale), en passant par un noyau dur d’intellectuels « ethnonationalistes », chacun comportant ses propres idéologues, leaders d’opinion et plateformes de propagande.

Au cœur de l’alt-right se trouve néanmoins un programme politique fédérateur comportant un certain nombre de dénominateurs communs qui le placent résolument dans le continuum des mouvements fascistes.

  • Le nationalisme blanc; tous les partisans de l’alt-right aspirent à la création d’un (ou plusieurs) État(s)-nation(s) réservé(s) aux blancs. Le nationalisme blanc se veut un rempart au (mythe du) « génocide blanc », la notion selon laquelle un vaste complot est ourdi en secret depuis plusieurs générations pour remplacer les populations blanches et détruire la civilisation occidentale par la promotion du multiculturalisme, de l’immigration non européenne, des mariages mixtes et une subversion graduelle des mœurs entraînant une chute des taux de natalité parmi les populations blanches[1]. Les solutions proposées, selon les différents courants, vont du morcellement des territoires en multiples enclaves ethnonationalistes, à la « remigration » des populations non blanches, au génocide pur et simple.
  • L’anti-égalitarisme; comme tous les courants de pensée fascistes, l’alt-right s’oppose radicalement à l’idée même d’égalité entre les êtres humains, perçue comme une ridicule lubie libérale menant la civilisation occidentale à sa perte. Par exemple, l’alt-right assoit ses théories sociales sur un prétendu « réalisme racial », une doctrine pseudo-scientifique voulant qu’il existe des différences biologiques intrinsèques entre les races (dont l’existence est bien sûr tenue pour acquise), se reflétant par exemple dans des taux de quotient intellectuel respectifs immuables. L’alt-right, de manière générale, tient aussi les femmes pour inférieures aux hommes et les minorités sexuelles pour « dégénérées ». Cet anti-égalitarisme s’étend aussi aux rapports entre personnes au sein d’un même groupe ethnique; l’alt-right croit autant aux inégalités innées à l’intérieur des groupes (par exemple, entre hommes blancs) qu’entre les différents groupes.
  • L’antiféminisme/masculinisme; l’alt-right ne s’est vraiment consolidée en tant que mouvement qu’avec la convergence des trolls de 4chan dans le ressac antiféministe et misogyne du prétendu « Gamergate », en 2014. C’est aussi à cette occasion que l’alt-right a pu raffiner et mettre à l’épreuve les techniques rhétoriques qui allaient faire son succès. Plusieurs courants antiféministes, regroupés sous l’étiquette « manosphère », se sont intégrés à l’alt-right et l’ont propulsé, dont la communauté « Pick Up Artist » (PUA), les « Involuntary Celibates » ou « Incels », les « Men Going Their Own Way » (MGTOW), etc.
  • Le mépris pour le conservatisme mainstream; l’alt-right réserve une haine tout aussi féroce à l’endroit des partis et institutions du conservatisme mainstream qu’envers la gauche (définie très largement). Le terme « cuckservative » (conservateur cocufié, avec une connotation raciste) sert à déprécier quiconque appartient à l’establishment conservateur et se dissocie de la « vraie droite » que l’alt-right prétend incarner.
  • L’anticommunisme; sans forcément être un principe fondateur, l’anticommunisme est omniprésent dans la rhétorique alt-right. Cet anticommunisme est généralement enrobé dans le cliché du « marxisme culturel », une théorie du complot antisémite voulant que les philosophes associés à l’École de Francfort (pour la plupart Juifs) soient à l’origine d’une conspiration visant à miner et détruire la culture et la civilisation occidentales. La théorie du « marxisme culturel » remonte par ailleurs tout droit au concept de « bolchevisme culturel » développé par les nazis. (Il existe par ailleurs un courant minoritaire « rouge-brun » au sein de l’alt-right, suivant la pensée « nationale-communiste » d’Alexandre Dougine.)
  • L’anti-rectitude politique; les principes énumérés ci-dessus se recoupent dans un éthos d’opposition violente à tout ce que les adeptes considèrent appartenir à la « rectitude politique » : l’antiracisme, le multiculturalisme, l’égalité, le féminisme, la diversité de genre et sexuelle et, de manière générale, le principe même de justice sociale. Cette opposition c’est traduite par une culture de la transgression toujours plus extrême sur différents forums de discussion anonymes, dont le salon /pol/ sur 4chan, où les adeptes ont graduellement développé un langage et un vocabulaire particuliers ainsi qu’un style rhétorique agressif. Ce style est axé sur l’insulte facile et outrageuse, le retournement systématique des arguments des adversaires idéologiques, la projection constante du jeune mâle blanc hétérosexuel en tant qu’identité opprimée, et la confusion permanente entre l’articulation d’opinions franches et l’expression ironique d’idées transgressives pour le simple plaisir de choquer, ou « trigger », les « normies » (soit toute personne extérieure à cette sous-culture et susceptible d’être rebutée par ses excès). Quiconque n’adhère pas à cet éthos est accusé de faire du « virtue signaling » et se voit taxé de « social justice warrior », de « snowflake », de « cuck » ou toute autre insulte du même acabit.

À cet égard, l’alt-right a développé une identité sous-culturelle très distincte, avec son propre vocabulaire (kek, « red pill », « black pill », « based », etc.), ses symboles (Pepe) et ses conventions esthétiques (les mèmes du Chad c. le Virgin, Wojack, NPC, etc.). Ces éléments dérivent en partie de l’importante activité du mouvement dans les espaces en ligne, et en partie des précédents chocs rhétoriques (et à l’occasion, de l’identification) de plusieurs adhérents à l’alt-right avec des contre-cultures de gauche en ligne et hors ligne. Il est à noter que plusieurs éléments du vocabulaire de l’alt-right ont percolé dans la culture populaire au cours des dernières années, en transitant par 4chan, 8chan, Reddit et Twitter, pour finalement être récupérés par une partie considérable de la droite populiste, ainsi que par certains éléments plus « branchés » de la culture mainstream, et même de l’extrême gauche.

Les concepts clés qui animent l’alt-right ne sont pas nouveaux, et ses principaux maîtres à penser sont fortement influencés par des courants idéologiques plus anciens, dont le « paléoconservatisme » américain et la Nouvelle Droite européenne. (D’autres influences plus récentes, comme le mouvement « néoréactionnaire », dépassent le cadre de cet exposé, mais s’inscrivent dans le même continuum.)

Le « paléonconservatisme » se veut un retour à un conservatisme « authentique » (« Old Right »), en rupture avec le « néoconservatisme » qui a exercé une influence déterminante sur le Parti républicain à partir des années Reagan pour culminer sous le régime de George W. Bush. Les paléonconservateurs, comme leur nom l’indique, prennent pour compas une vision glorifiée du passé correspondant notamment au mouvement « America First » des années 1930-1940, qui s’opposait à l’engagement des États-Unis dans la Deuxième Guerre mondiale et affichait une certaine sympathie à l’égard du fascisme. La renaissance paléonconservatrice des années 1980 portait une critique de l’immigration et du multiculturalisme, de l’interventionnisme des États-Unis en matière de politique étrangère, du libre échange, de la mondialisation économique et des mesures de sécurité sociale sur le plan intérieur. Socialement, ils étaient extrêmement traditionalistes et réactionnaires en matière de genre, de sexe et de rapports sociaux et -en particulier- raciaux. Les paléonconservateurs étaient aussi critiques du rapport privilégié qu’entretiennent les É.-U. avec Israël, en des termes parfois antisémites, et mettaient de l’avant une perspective anti-égalitaire et implicitement suprémaciste blanche, selon laquelle les intérêts, valeurs et préoccupations des blancs de culture chrétienne et européenne devraient toujours avoir préséance au sein de la société américaine. Le terme « paléoconservateur » est attribué à Paul Gottfried, un professeur de philosophie aussi généralement reconnu comme le parrain idéologique de l’alt-right.

La deuxième influence majeure de l’alt-right est la Nouvelle Droite européenne (NDE), laquelle émanait de la Nouvelle Droite française rattachée au Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), sous la direction d’idéologues comme Alain de Benoist. Ce courant-ci, héritier direct des mouvements fascistes européens, était encore plus clairement lié au suprémacisme blanc que le paléoconservatisme américain. Au cœur du courant de pensée se trouvaient le rejet radical du principe égalitariste et la notion voulant que les prétendues différences fondamentales entre les cultures doivent être préservées par la ségrégation ethnique et culturelle et le développement de nationalismes ethniques (ethnodifférentialisme). Cet aspect de la Nouvelle Droite est encore très présent dans les mouvements identitaires européens (Génération Identitaire) et les courants soi-disant nationalistes révolutionnaires. L’influence idéologique de la Nouvelle Droite est d’ailleurs déterminante, au Québec, chez les néofascistes d’Atalante et de la Fédération des Québécois de souche.

L’un des aspects centraux de la Nouvelle Droite est son approche « métapolitique » qui, plutôt que de chercher à capturer directement le pouvoir d’État par le truchement des institutions politiques, vise à transformer graduellement la culture politique et intellectuelle de manière à subvertir les institutions et les systèmes en place pour s’en saisir éventuellement, au moment propice. C’est donc une stratégie s’inscrivant sur le long terme et reposant en bonne partie sur la subversion de la culture de manière générale, notamment par la multiplication de plateformes de « réinformation » favorisant la circulation d’idées d’extrême droite, le confusionnisme et la prolifération de théories du complot. Tandis que l’approche métapolitique de la Nouvelle Droite visait particulièrement l’élite universitaire et intellectuelle, cependant, leurs héritiers ont su efficacement adapter ce cadre théorique à l’ère numérique pour s’adresser à une nouvelle génération. Ceci est un élément fondamental de l’alt-right, car comme nous l’avons souligné, le mouvement s’est surtout développé sur Internet sous la forme d’une contre-culture numérique axée sur le rejet et la transgression de la « rectitude politique », en jouant d’humour, d’ironie et d’irrévérence pour réintroduire et réhabiliter des thèmes suprémacistes et fascistes.

Pourtant, une préoccupation centrale de la Nouvelle Droite classique, qui s’inscrivait dans cette approche métapolitique, était de refaire une beauté au fascisme : d’en atténuer ou d’en modifier certains éléments de discours ou de présentation de manière à en accroître le facteur d’acceptabilité sociale.

On touche ici une contradiction majeure de l’alt-right, qui en reprenant des discours extrémistes, en accueillant à bras ouverts différents courants suprémacistes et en précipitant son activité militante à la faveur d’un contexte particulier (l’élection de Trump), a semblé oublier certaines des leçons clés de leurs précurseurs et des stratégies de dédiabolisation que certains d’entre eux privilégiaient.

D’une certaine façon, les influences dominantes décrites ci-dessus se sont traduites de différentes manières dans les grandes catégories complémentaires de l’alt-right, soit ses tendances « modérée » et ses courants suprémacistes purs et durs (explicitement fasciste, voire néonazi). Les principes communs (le nationalisme blanc, l’anti-égalitarisme, l’antiféminisme, etc.) ne doivent pas nous faire oublier certaines divergences non négligeables qui existent au sein des multiples tendances et entre elles (notamment, par exemple, en ce qui a trait à la centralité de l’antisémitisme et au rôle de la religion). Que ces divergences soient de nature idéologique ou stratégique, elles existent certainement, et pourraient bien s’avérer l’un des principaux facteurs de l’effondrement de l’alt-right.

D’une part, comme le souligne Mike Wendling dans Alt-Right : From 4chan to the White House, ces catégories rudimentaires (modérée et radicale) peuvent être comprises comme les deux faces d’une même médaille, où « l’alt-light minimise l’importance des extrémistes; et le noyau dur extrémiste se sert du courant “modéré”, relativement plus attrayant, pour attirer les adeptes vers son pôle[2]. »

Mais d’autre part, si la première (bien financée et jouissant d’une relative crédibilité lui permettant d’élargir son influence) s’est effectivement attachée à projeter une image présentable au public pour faire avancer le programme nationaliste blanc, on ne peut pas en dire autant du second qui, tout en confinant ses échanges les plus crus et extrêmes à des salons de discussion secrets (par ex. sur Discord ou Telegram), a choisi une approche de visibilité diamétralement opposée en se complaisant de plus en plus ouvertement dans des discours et une imagerie extrémistes, d’abord sur des forums nichés (4chan, 8chan, Reddit) puis sur des blogs, des podcasts, et des sites Internet dédiés à la propagande, comme The Daily Stormer (TDS) ou The Right Stuff (TRS), et enfin sur des forums de discussion comme Iron March ou Fascist Forge, qui ont servi d’incubateurs à différents groupes néonazis « post-alt-right », de tendance « accélérationniste », c’est-à-dire portés sur le terrorisme et la violence de masse.

Quoi qu’il en soit des différentes stratégies d’expansion privilégiées en amont, au final, et de l’aveu même de certains de ses leaders, le mouvement dans son ensemble aura bien mal jugé l’opportunité de prendre la rue sur un mode militant, et c’est cette erreur de jugement stratégique qui a précipité sa chute catastrophique. Suite au meurtre crapuleux de la militante antiraciste Heather Heyer par le néonazi James Alex Fields, le 12 août 2017, à Charlottesville, l’alt-right a subi un ressac sans précédent qui s’est traduit par la suppression d’un très grand nombre de comptes sur différentes plateformes de médias sociaux et de sociofinancement, et le doxxing de plusieurs figures clés du mouvement, y compris le montréalais Gabriel Sohier Chaput, qui s’y étaient rendu avec d’autres Canadiens, dont Shawn Beauvais-MacDonald et Vincent Bélanger Mercure.

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Pour résumer, l’histoire de l’alt-right peut ainsi se diviser en quatre périodes grossières : sa préhistoire, où différents courants coexistaient et se développaient dans une direction commune, mais sans adhérer à une identité commune; ses balbutiements, lorsque ces différents courants ont commencé à interagir consciemment tout en s’inspirant largement de nouvelles communautés virtuelles (la manosphère, les forums du « Far-Web », comme 4chan, etc.); son apogée, à l’époque où le jeune mouvement a su s’attirer une publicité sans précédent grâce à son association à la campagne électorale de Donald Trump; et son déclin, qui s’est graduellement confirmé lorsque le mouvement n’a pas réussi à remporter une série de batailles décisives contre les forces antifascistes, et s’est précipité au lendemain de son écrasante défaite à Charlottesville, une défaite à la fois politique et tactique.

 

Des É.-U. aux Québec

Les « balbutiements » de l’alt-right correspondent grossièrement à la présidence de Barak Obama aux États-Unis. En plus de l’influence centrale de la misogynie en ligne, le mouvement s’inspirait du sentiment de désillusion à l’égard de la gauche et d’une « panique blanche » grandissante à l’égard du déclin de l’hégémonie blanche. Le même contexte social et culturel qui a nourri l’alt-right aux États-Unis existait aussi au Canada, quoi qu’il en soit de l’héritage intellectuel de tel ou tel groupuscule. La plus importante conséquence de ce malaise étant la politisation rapide de certaines sous-cultures en ligne, largement constituées d’adolescents et de jeunes hommes et caractérisées par un cynisme de plus en plus extrême (à la faveur de l’anonymat que permet Internet), allant des communautés de gamers aux imageboards, et aux différents espaces de la manosphère qui devaient enfin les mener vers des sites plus explicitement idéologiques (ou faussement ironiques) comme The Daily Stormer et The Right Stuff.

Ainsi, plusieurs des individus qui allaient être attirés par l’alt-right au Québec n’avaient aucun lien organique avec l’extrême droite québécoise ou canadienne, mais se sont plutôt incorporés à un mouvement principalement américain par le truchement d’Internet.

Ici, un grand nombre de sympathisant-e-s de l’extrême droite étaient déjà familiers avec certains des textes clés de l’alt-right avant même leurs congénères américains, comme ceux de la Nouvelle Droite européenne qui, comme nous l’avons mentionné, était ancrée en France. Certains éléments plus intellectuels de la Fédération des Québécois de souche, par exemple, occupaient déjà ce cadre théorique, mais ne se sont pourtant jamais identifiés à l’alt-right, parce que différents contextes politiques au Québec auraient rendu anachronique un tel développement. Intellectuellement et politiquement, l’extrême droite au Québec était déjà ailleurs, avec ses propres enjeux et stratégies, ce qui rendait peut-être l’alt-right superflue au moment de son émergence.

À partir de 2016, l’appui symbolique à la candidature de Donald Trump est devenu, pour toutes sortes d’extrême-droitistes de partout dans le monde, un moyen important d’exprimer leur identité politique. Ce choix s’est plus tard traduit par une amère déception quand il s’est avéré que le président Trump n’allait pas instaurer une dictature, n’allait pas renverser l’ordre mondial néolibéral et, par-dessus le marché, était d’une extraordinaire incompétence. Ces réalités malencontreuses, toutefois, étaient assez faciles à ignorer en dehors des États-Unis. L’identification à l’alt-right (qui dans les médias d’information et de la part de certains gauchistes ou universitaires allergiques aux analyses plus poussées, était souvent amalgamée à toutes sortes de phénomènes d’extrême droite, et parfois même à Trump lui-même) a continué à percoler au Québec pendant cette période, mais en tant que phénomène marginal au sein de l’extrême droite québécoise. Le terme lui-même ne comportait pas encore de sens clair, et d’autres points de références restaient beaucoup plus parlants pour la majeure partie de l’extrême droite d’ici. Dans la mesure où le mouvement a effectivement existé ici, l’alt-right s’est limitée à sa présence en ligne (comme le podcast de Jean-François Gariepy et diverses pages web éphémères). Sa seule manifestation organisée a été le groupe montréalais organisé autour d’Athanasse Zafirov, qui provenait de la communauté masculiniste, et Gabriel Sohier Chaput, qui provenait quant à lui de l’univers du forum Iron March et du Daily Stormer, deux des plus importants projets de la renaissance néonazie des années 2010. En même temps, les aspects sous-culturels de l’alt-right, comme les mèmes de Pepe et du Kekistan, le shitposting et la posture « edgelord » (la transgression comme fin en soi), etc., on continué à se répandre sur Internet.

 

 


[1]              Nous jugeons important de souligner que les perspectives de l’alt-right au sujet de ce que ses adeptes nomment le « génocide blanc » ne sont pas le fruit d’un pur délire. Elles reflètent des changements réels qui se produisent à l’échelle internationale, à l’heure où les formes historiques du pouvoir et du privilège blancs sont effectivement remises en question à tous les niveaux. Toutefois, plutôt que de comprendre la nature des injustices qui sont à la racine de ces remises en question, ou les façons dont le pouvoir blanc s’est historiquement appuyé sur la violence pour subjuguer ou exploiter d’innombrables populations partout dans le monde, l’extrême droite s’accroche à l’illusion de l’innocence des blancs (et de leur position hiérarchique « naturelle »), déplore leur victimisation par les groupes en quête d’équité et impute systématiquement l’érosion de leurs privilèges à diverses forces occultes malveillantes (habituellement juives).

[2]               Wendling, Mike, Alt-Right : From 4chan to the White House, Fernwood Publishing, 2018.