Qu’est-ce que le fascisme?

(Inspiré et traduit de Rose City Antifa)

Il peut s’avérer difficile de définir le fascisme, puisque tous les régimes fascistes ne présentent pas exactement le même profil. Le fascisme en soi s’appuie sur la combinaison d’idées contradictoires et comporte plusieurs incohérences logiques (par exemple, il est élitiste, mais populiste; il appartient à l’extrême droite, mais utilise souvent le langage et les thèmes de la gauche; il est révolutionnaire, mais conservateur, etc.). Malheureusement, le terme a été largement galvaudé et est devenu une espèce d’insulte politique passe-partout lancée contre toute idée autoritaire, de droite ou simplement indésirable. Ce glissement de langage pose un problème aux antifascistes, car nous croyons qu’il est important d’utiliser ce terme d’une manière aussi précise que possible. C’est pourquoi notre définition du fascisme repose sur un ensemble de caractéristiques. Si un mouvement donné ne présente pas toutes ces caractéristiques, mais qu’il présente l’une ou l’autre de manière prépondérante, nous le considérons comme fasciste.

Nous reconnaissons un certain nombre de caractéristiques propres à un mouvement fasciste :

  • Le fascisme est une idéologie ultranationaliste qui glorifie et se mobilise autour d’une identité nationale définie en termes raciaux, culturels et/ou historiques exclusifs, et valorise cette identité plus que tout autre facteur ou intérêt (par exemple, la classe ou le genre).
  • Le fascisme est marqué par une hostilité envers le rationalisme et les valeurs des Lumières.
  • L’identité nationale principale, dans le fascisme, est à la fois mise en contraste et renforcée par la déshumanisation et la désignation comme boucs émissaires de groupes marginalisés ou opprimés et la création d’un « Autre » mythifié et diabolisé.
  • Le fascisme est caractérisé par son utilisation de la violence ou des menaces de violence pour imposer sa vision aux autres, et par sa tendance à obtenir l’acquiescement par la terreur.
  • Il est anticommuniste, antilibéral et anticonservateur.
  • Le fascisme exalte la masculinité et témoigne du mépris pour les valeurs « féminines », ou celles qu’il considère comme douces.
  • L’antisémitisme et le racisme sont des éléments centraux du national socialisme et de la plupart des autres formes de fascisme.
  • Le fascisme vise à instaurer une société militarisée et est organisé selon des modèles militaires ou quasi-militaires.
  • Le fascisme adopte une structure autoritaire, habituellement organisée autour d’un seul leader charismatique.
  • Les groupes fascistes peuvent donner l’impression de constituer une organisation efficace et dynamique, mais en fait, les structures de pouvoir sont arbitraires et impitoyables.
  • Les fascistes emploient une rhétorique populiste et antiélitiste pour courtiser « le monde ordinaire », tout en mettant en place un élitisme interne et en acceptant l’appui des élites existantes.
  • Le fascisme glorifie un passé mythologisé pour justifier ses positions idéologiques actuelles et jeter les fondements d’une organisation future de la société.
  • Le fascisme présente la situation sociale et politique actuelle comme étant en pleine déchéance. Pour lui, cette situation a été créée par la décadence et la corruption généralisée, et le déclin est habituellement attribué à l’abandon des valeurs traditionnelles associées à un passé mythologisé. Ce récit nationaliste est chargé d’éléments racistes, xénophobes, homophobes et misogynes.
  • Le fascisme se présente comme une proposition politique à la fois révolutionnaire et traditionaliste.

Cela étant dit, nous ne croyons pas que la lutte antifasciste se limite aux groupes et mouvements répondant strictement à cette définition.

Nous croyons que les groupes et mouvements nationaux-populistes, le repli identitaire et les discours à caractère xénophobes et islamophobes véhiculés par une certaine droite décomplexée au Québec participent à un glissement graduel des débats politiques vers une banalisation et, éventuellement, une acceptation de propositions plus ouvertement fascistes.

Cette filiation naturelle entre la droite xénophobe, le racisme ordinaire et les groupes plus explicitement fascistes s’observe par le chevauchement, parfois informel (notamment sur les réseaux sociaux), mais aussi formel (dans le membership croisé) entre les membres, groupuscules  et partis d’extrême droite de différentes tendances au Québec. Les filiations et sympathies sont explicites, par exemple, entre de nombreux.euses membres de La Meute et de Storm Alliance, d’une part, et de groupes explicitement néofascistes comme  la Fédération des Québécois de souche et Atalante d’autre part. Un groupe comme les Soldats d’Odin évolue dans la zone grise entre les deux.

Autant qu’à ces groupes explicitement fascistes , c’est à la normalisation et la légitimation graduelle de leurs idées racistes, xénophobes, islamophobes, et parfois aussi antisémites, misogynes, homophobes et transphobes, que nous nous opposons par tous les moyens nécessaires.

La devise historique des antifascistes espagnol.e.s était  « Ils ne passeront pas! », et nous adhérons entièrement à ce principe.

 

Qu’entendons-nous par national-populisme?

Les mouvements populistes cadrent les enjeux politiques en fonction d’un groupe amorphe et mal défini, « le peuple », qu’ils opposent à la fois aux étrangers.ères et aux « élites ». Il y a eu de nombreux mouvements populistes partout dans le monde tout au long de l’histoire. Bien que les mouvements populistes puissent être progressistes ou réactionnaires, à l’époque actuelle, dans les nations traditionnellement racistes de l’Occident riche, ces mouvements tendent à se trouver à la droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique. Dans ces sociétés, « le peuple » est presque toujours assimilé à la classe moyenne blanche, laquelle serait menacée à la fois par « en bas » (les gens de couleur et les blancs pauvres) et par « en haut » (les mystérieuses élites et les politicien.ne.s corrompu.e.s, souvent présumé.e.s étrangers.ères et/ou des communautés juive ou musulmane).

Dans le cas du Québec, « le peuple » est considéré à la fois comme le cœur productif de la société et la source de sa légitimité en tant que nation. Le Québec est perçu comme étant menacé par les immigrant.e.s (surtout les musulman.e.s),  les politicien.ne.s corrompu.e.s (surtout le Parti libéral et Québec solidaire) et, dans la plupart de ses versions, par la progression de l’anglais et le pouvoir de l’État canadien. Ainsi, ce milieu s’appuie sur des positions et une rhétorique généralement associées au mouvement nationaliste québécois, tout en y intégrant des éléments xénophobes, complotistes et antiélitistes. C’est pourquoi nous appelons ce courant « national-populiste ».

Bien que le plus important groupe national-populiste au Québec actuellement soit La Meute, ce milieu est fort large, comporte de nombreux points de convergence avec d’autres courants politiques, et peut éventuellement se prêter à toutes sortes de positions politiques. Les nationaux-populistes peuvent même adopter des positions habituellement comprises comme « progressistes » ou « de gauche », notamment sur les questions environnementales, les mesures d’austérité ou la répression politique, par exemple. Toutefois, en tant que cadre d’analyse, même dans sa forme la plus « à gauche », le national-populiste sape les luttes contre le colonialisme, le capitalisme, le patriarcat et la suprématie blanche, soit en prétendant que ce ne sont pas de vrais problèmes, soit en rejetant la responsabilité de ces problèmes sur des individus corrompus ou des forces étrangères à la nation. Étant donné ce fort accent placé sur les individus et les causes externes, les nationaux-populistes ont tendance à éviter les analyses systémiques ou la rigueur théorique en faveur d’appels au « bon sens » et au sentiment d’indignation.

Le milieu national-populiste regroupe de nombreux éléments proto fascistes et ouvertement racistes aux côtés d’autres qui sont plus mal à l’aise avec ces positions. Depuis le massacre au Centre culturel islamique de Québec, le 29 janvier 2017, l’influence de ces éléments fascistes a augmenté, tandis que le milieu plus large s’est rebiffé contre certaines mesures comme le projet de loi M-103 et la Commission sur le racisme systémique, et s’est senti attaqué par des reportages dans les médias les décrivant comme « d’extrême droite ». Même si tous et toutes les fascistes ne sont pas enraciné.e.s dans le milieu national-populiste, celui-ci est un exemple évident de base d’appui pour les idées fascisantes et peut être considéré comme une chambre d’incubation où les tendances plus radicales peuvent se développer.

 

Pourquoi la montée de l’extrême droite est-elle dangereuse?

L’histoire nous enseigne qu’il est extrêmement dangereux de laisser libre cours aux idées fascistes ou fascisantes, à plus forte raison pour les groupes ciblés définis comme boucs émissaires (Juifs, Noirs, immigrant-e-s, féministes, communistes, queers, etc.).

Au cours de l’histoire moderne, des centaines de millions de personnes ont payé de leur vie ou de leur liberté la complaisance de certaines sociétés envers les propositions fascistes. La progression graduelle du fascisme historique dans l’Europe d’entre-deux guerres est l’exemple le plus spectaculaire de ce laisser-aller, et celui qui nous vient immédiatement à l’esprit. Il ne faut jamais oublier que les fascistes de Benito Mussolini en Italie et le parti nazi en Allemagne ont commencé comme des propositions extrêmement marginales que peu de gens prenaient au sérieux. Par la complaisance de la société d’abord, puis par la violence et l’intimidation inévitablement, ces partis ont accédé au pouvoir, avec les conséquences désastreuses que l’ont sait. Même dans la période d’après-guerre, des régimes fascistes se sont installés au pouvoir, parfois avec l’aide de puissances occidentales qui en tiraient parti sur le plan géopolitique (voir l’opération Condor).

L’extrême droite représente plusieurs menaces. À court terme, il est peu probable que les individus de cette faction prennent le pouvoir et mettent en place leur projet de société. À plus long terme, bien qu’il soit impossible de prévoir l’avenir, plusieurs raisons nous motivent à prendre la montée de l’extrême droite au sérieux.

Premièrement, les individus d’extrême droite harcèlent et brutalisent les groupes marginalisés et encouragent d’autres personnes à faire de même. Par exemple, au Québec (et ailleurs), ces individus ont ciblé des personnes – et particulièrement des femmes trans et des femmes racisées – à travers des campagnes de harcèlement en ligne afin de les faire taire et, dans certains cas, les forcer à déménager pour protéger leur sécurité. Dans la rue, les Soldats d’Odin ont patrouillé certains secteurs pour intimider des immigrant.e.s et ont tenté de perturber des événements de gauche. Storm Alliance s’est réuni à la frontière pour intimider les réfugié.e.s qui traversaient vers le Canada. Des Québec Stompers ont attaqué et poignardé des antifascistes. Plus tragiquement, nous pouvons penser à l’attentat au Centre culturel islamique de Québec, commis par Alexandre Bissonnette le 29 janvier 2017. La violence d’extrême droite, et la façon dont elle réunit des idées « extrémistes » et « mainstream », n’est pas un phénomène nouveau. En 1990, durant la crise d’Oka, Longtide 74 (le chapitre québécois du KKK) a tenu des rassemblements et et a organisé de la surveillance contre la nation Mohawk et leurs supporteurs, tout en travaillant main dans la main avec les groupes colonialistes et en défendant implicitement la Sûreté du Québec et l’Armée canadienne. Plus tard, dans la même décennie, le même groupe a été impliqué dans des actions contre des travailleuses du sexe à Montréal, dans le contexte où des associations pro-embourgeoisement faisaient de même.

Deuxièmement, les individus d’extrême droite créent plus d’espace et de tribunes pour les forces racistes et de droite afin d’intensifier l’intolérance, la désignation de bouc-émissaires et la violence. Pour ce faire, ils offrent un exemple à suivre et font figure de cas extrême qui agit comme repoussoir, en faisant paraître les discours plus modérés comme « légitimes ». L’exemple le plus éloquent dans l’histoire récente du Québec demeure la montée de l’islamophobie durant le prétendu débat sur les « accommodements raisonnables ». Plus récemment, les actions de la Meute – par exemple, contre le projet de cimetière musulman à Saint-Appolinaire – et les gestes de violence contre les mosquées se manifestent de concert avec les différentes mesures législatives racistes, de la Charte des valeurs au projet de loi 62.

Troisièmement, l’extrême droite s’approprie les critiques généralement formulées par la gauche pour usurper sa base d’appui. Les membres de plusieurs groupes d’extrême droite s’indignent contre la corruption du gouvernement, la brutalité policière (lorsque la victime est blanche et n’est pas à gauche), les conséquences des mesures d’austérité néolibérales, et même (dans certains cas) le sexisme dans la société. Cette récupération des discours de gauche, qu’elle serve les théories du complot ou la désignation de bouc-émissaires, ne change pas la légitimité de certaines de ces critiques. Comme nous le répétons souvent, un raciste est quelqu’un qui se trompe de colère.

Quatrièmement, l’extrême droite et les forces de l’ordre qui l’entourent peuvent agir comme un bras armé non-officiel de la répression d’État. Ce travail peut aller de la surveillance à la recherche sur l’extrême-gauche – impliquant plusieurs cas de collaboration avec la police – à une impunité de la part des forces policières à l’endroit des individus d’extrême-droite qui tabassent ou intimident des personnes de gauche. La présence de plusieurs anciens membres de l’armée et de la police dans la Meute, occupant souvent des postes de commandement, met en évidence ces liens dangereux entre forces de l’ordre et extrême droite.

Cinquièmement, l’extrême droite peut contaminer la gauche avec ses idées dangereuses ou recruter des personnes de gauche pour travailler avec eux. C’est particulièrement le cas avec le mouvement souverainiste québécois, où plusieurs individus ou groupes, qui se sont historiquement situés à gauche, se sont joints à l’extrême droite sur la base d’une islamophobie partagée, ou sous l’idée que le multiculturalisme et l’immigration menaçaient le projet indépendantiste. Plus largement, plusieurs groupes progressistes ont partagé des textes d’extrême droite, ont organisé des événements avec des conférenciers d’extrême droite, ont repris leurs arguments, ou ont coopéré avec des forces d’extrême droite, sur la base de discours contre la guerre, la mondialisation, l’impérialisme, et même contre le sexisme et le racisme.

  

Tout le monde jouit de la liberté d’expression, y compris celles ceux avec qui vous n’êtes pas d’accord. Pourquoi s’en prendre comme vous le faites à la liberté d’expression d’autrui?

Il y a une énorme différence entre la liberté d’expression et la liberté de répandre la haine des autres.

Ceci n’est pas un débat abstrait : les actions suivent toujours les idées. Nous nous opposons aux fascistes pour ce qu’ils et elles font, pas seulement pour ce qu’ils et disent. Nous ne nous opposons pas à leur liberté d’expression; nous nous opposons au fait qu’ils et elles aient la liberté de développer un programme politique fondé sur la haine et la terreur. Nous ciblons des groupes et individus qui s’organisent selon des modèles fascistes. Ces groupes n’organisent pas des événements et des plateformes publiques pour exprimer innocemment des idées comme les autres, mais pour construire le pouvoir nécessaire afin de mettre en place leur horrible vision du monde.

Dans les faits, nous n’avons aucunement le pouvoir de les empêcher de s’exprimer; ils et elles continuent de propager leur vision haineuse sur Internet et sur papier quand cela est possible. Mais nous ne les laisserons pas entrer sans opposition dans nos communautés pour s’y consolider.

Quel est le but de la liberté d’expression, si ce n’est promouvoir un monde libre de l’oppression? Par définition, les fascistes s’opposent à cette vision, et nous nous opposons au fascisme.

Chaque groupe et chaque individu est ultimement responsable des décisions prises, soit à qui il ou elle offre une tribune, avec qui il ou elle est disposé.e à s’organiser et quelles idées il ou elle est prêt.e à soutenir ou à mettre de l’avant. Évidemment, la liberté d’expression ne signifie pas qu’une salle de spectacle est obligée de laisser jouer des groupes fascistes, que les espaces radicaux sont obligés de laisser parler des suprémacistes ou que les groupes sont obligés d’admettre des membres racistes ou sexistes. Cela relève toujours d’un choix. Si une organisation ou une personne choisit consciemment de s’aligner avec des fascistes ou des militant.e.s d’extrême droite, elle doit être tenue responsables de ce choix. Ceux et celles qui donnent consciemment une tribune ou un espace d’organisation aux fascistes ne sont pas des vaisseaux neutres, des victimes innocentes ou des observateurs.trices impartiaux.ales. Il y a toujours un choix.

Au Québec comme ailleurs, la liberté d’expression est un cheval de Troie qu’emploient les mouvements d’extrême droite pour casser du sucre sur le dos de populations qu’elle cible comme boucs-émissaires. L’exemple le plus transparent de ce stratagème est la mobilisation réactionnaire contre la motion de principe M-103 déposée aux Communes par la députée libérale Iqra Khalid en 2017, laquelle condamne « l’islamophobie et toutes les formes de racisme et de discriminations religieuses systémiques ». Même si cette motion n’était d’aucune manière contraignante, les opposant.e.s ont rué dans les brancards et se sont mobilisé.e.s contre une mesure qui, dans les faits, ne les empêche même pas juridiquement d’exprimer librement leur islamophobie! Tout ce brouhaha autour de la motion M-103 n’était rien d’autre, finalement, que l’agitation d’une extrême droite décomplexée revendiquant son droit de répandre librement des faussetés et de la haine au sujet des Musulmans et Musulmanes!

Lire aussi : Ceci n’est pas un dialogue : une approche anarchiste de l’antifascisme aux États-Unis

https://paris-luttes.info/ceci-n-est-pas-un-dialogue-une-7496?lang=fr

 

Est-ce que les Québécois.e.s sont racistes? Plus racistes qu’ailleurs?

Il est absurde de prétendre que les Québécois et Québécoises sont plus ou moins racistes que d’autres sociétés tributaires de la suprématie blanche occidentale. Le Québec, comme le Canada et les États-Unis, est une société coloniale et impérialiste, avec l’héritage d’une société coloniale, laquelle est fondée sur le génocide des Premiers habitants, l’occupation prolongée du territoire et l’exploitation systématique de ses ressources, d’abord pour le bénéfice des métropoles française et britannique, et ensuite pour celui de l’État canadien.

Autrement dit, bien sûr, il y a du racisme au Québec et au Canada, parce que ce modèle de civilisation est fondamentalement raciste. Est-ce à dire que tou.te.s les Québécois-e-s sont des racistes? Évidemment pas. Mais les Québécois-e-s catholiques, blanc.he.s, francophones appartiennent à la société dominante et jouissent, consciemment ou non, des privilèges racistes qui viennent avec ce statut.

À ce racisme systémique vient dans plusieurs cas se greffer un racisme « d’ignorance », un racisme ordinaire et pas nécessairement méchant, découlant d’un manque d’ouverture et/ou de contact avec d’autres cultures. Et oui, dans bien des cas aussi, intervient un racisme idéologique, comme en témoignent les discours de certains groupes documentés sur ce site.

Il s’agit en fait d’un continuum, du racisme systémique au racisme idéologique, en passant par l’ignorance et l’insensibilité culturelle, qui traverse nécessairement la société québécoise, comme le prouve les milliers de commentaires explicitement racistes que l’on retrouve sur les réseaux sociaux et sur les sites d’information québécois.

Il y a deux manières de composer avec cette réalité :

1) se replier dans le déni et la défensive, prétendre que tout cela relève du délire, que c’est tout simplement faux et que les québécois.es ne sont « pas racistes »; c’est-à-dire participer au racisme;

2) prendre acte du racisme, y réfléchir sérieusement et prendre les moyens nécessaires pour transformer la société, non pas dans la direction d’un repli identitaire, mais dans le sens d’un projet de vivre-ensemble inclusif et authentiquement respectueux des différences.

Cette tension est vive actuellement au Québec, et il serait dangereux d’ignorer ou de minimiser l’importance des groupes et individus qui nient le racisme et, ce faisant, participent à sa consolidation.

 

Est-ce que les Québécois.e.s sont victimes de québécophobie?

L’histoire du Québec a été profondément marquée par ce qu’on pourrait appeler une oppression nationale des Canadien-ne-s français.es qui a perduré à petite ou grande échelle jusque dans les années 1980. Les traces de cette histoire perdurent sans doute en forme de préjugés encore aujourd’hui dans certains milieux du Canada anglais.

Cela dit, le Québec et les Québécois-e-s ont depuis très longtemps accédé au statut de nation « développée » privilégiée et ne peuvent plus sérieusement jouer la carte de la victime.

Les Québécois et Québécoises jouissent collectivement d’un statut socio-économique largement supérieur à la moyenne des nations et font objectivement partie des économies les plus prospères au monde (en grande partie à cause de l’exploitation prolongée de ressources qu’ils et elles ont volées aux Autochtones et l’exploitation brutale des nations du tiers monde, mais c’est une autre histoire). La société québécoise est confortablement installée parmi les nations les plus riches.

Le complexe du colonisé auquel s’accrochent un grand nombre de nationalistes québécois.es n’est pas seulement archaïque en 2017, il présente un côté pathétique et suggère que cette option politique n’a pas été capable de suivre l’évolution du monde, comme s’il était plus confortable, dans le fond, de rester indéfiniment cantonné au rôle de victime.

La prétendue québécophobie  relève du même renversement logique que le « racisme anti-blanc » ou le « sexisme anti-homme » : ce sont des personnes en position historiquement privilégiée et politiquement dominante qui n’acceptent pas que leur privilège et leur domination soit contestée et menacée. Plutôt que d’accepter une telle remise en question, le dominant se tourne vers tels ou telles boucs-émissaires en se posant en victime d’une oppression fictive qui n’est en fait que la réflexion négative de sa propre position dominante.

 

La violence, c’est mal. Pourquoi recourir à la violence?

Le débat sur la violence et la non violence dans les mouvements sociaux et politiques est contaminée par une fausse équivalence logique doublée d’un jugement moral alternativement absolu et relatif, selon le contexte.

En 1919, Max Weber introduisait une notion sociologique importante dans le domaine des sciences sociales, à savoir que c’est l’État qui détient le monopole de la violence légitime . En d’autres mots, ça signifie que nous sommes collectivement conditionné.e.es à l’idée que seules la police et les forces armées peuvent et doivent utiliser la violence, supposément pour nous protéger contre les criminels et pour défendre la souveraineté nationale contre de potentiels envahisseurs. Nous sommes ainsi habitué.e.s à croire que toute autre forme de violence est une aberration; que la la violence, en quelque sorte, « c’est mal » absolument. [Certaines personnes ont déjà souligné que l’affirmation de Weber ignore le fait que la violence contre les femmes était un droit reconnu aux hommes à l’époque où il l’a formulée (et l’est encore en de nombreux endroits), et que dans les colonies (y compris les colonies d’établissement comme le Canada), le droit de recourir à la violence en dehors du cadre étatique a souvent été accordé aux colons pour maintenir la subjugation des peuples colonisés.]

Voilà un jugement moral intéressant. Il tient d’abord pour acquis que la violence de l’État constitue une exception à cet impératif moral, ce qui est extrêmement discutable au vu de l’histoire. Il est arrivé plus souvent qu’autrement que l’État emploie la violence à mauvais escient pour servir des intérêts nébuleux, souvent à l’encontre ou au détriment de sa propre population. Pour la probité morale de l’État et la légitimité de sa violence, on repassera.

D’un autre côté, l’opinion publique admet généralement comme exception le recours à la violence dans une situation d’autodéfense : quand ma sécurité physique ou celle de mes proches est menacée, il est acceptable (voire exceptionnellement légitime) que j’emploie la violence pour me défendre. Ce point de vue introduit une certaine relativité dans la compréhension de la violence.

Pour résumer, c’est cet argument que les antifascistes retournent à l’échelle collective : l’antifascisme est toujours une forme d’autodéfense.

D’abord, pour briser le mythe moraliste, la violence n’est pas intrinsèquement bonne ou mauvaise : elle existe dans le monde, elle est partout autour de nous. Elle est, par exemple, constamment déployée par l’État et le capitalisme en notre nom. Cela dit, la plupart des gens s’entendent pour dire qu’elle n’est pas souhaitable. Dans une société « parfaite », il va sans dire que la violence serait révolue.

D’ailleurs, contrairement aux mouvements fascistes, et malgré ce que nos ennemis répètent à chaque occasion, les antifascistes ne glorifient pas la violence. En fait, la très grande majorité des antifascistes ont la violence en horreur et préfèrent épuiser tous les autres moyens avant d’en arriver à celui-là.

Par contre, pour les populations ciblées par la violence fasciste ou les discours opprimants véhiculées par l’extrême droite, la question de la violence ne relève pas d’un débat moral abstrait, mais d’une obligation d’autodéfense. C’est l’existence de ces populations qui est menacée. De tous temps, c’est de leur côté que se sont rangé-e-s les antifascistes et c’est pour servir cet impératif de survie que la violence s’avère parfois nécessaire, parmi un ensemble de moyens.

De l’Italie à l’Allemagne des années 1920 jusqu’aux rues du monde contemporain, les fascistes ne se sont pas solidifié.e.s à force d’arguments rationnels, mais en s’organisant pour prendre le pouvoir aux dépens des autres. Pour contrer cela, nous ne pouvons pas nous contenter de débattre avec eux; nous devons les empêcher de s’organiser et de prendre le pouvoir, par tous les moyens nécessaires. Nous pouvons débattre de leurs idées à longueur de journée, mais si nous ne prenons pas aussi les moyens pour les empêcher de renforcer leurs capacités de transformer ces idées en réalités, nos discussions respectueuses n’auront servi à rien.

Historiquement, c’est l’autodéfense populaire, et non la discussion, qui a réussi à stopper le fascisme. Comme le dit le proverbe, espérons le meilleur, mais préparons-nous au pire.

 

Si les antifascistes n’ont rien à cacher, pourquoi se masquer dans les manifestations?

Au risque d’énoncer l’évidence, c’est une manière de rester anonyme, généralement en se fondant dans un groupe d’autres personnes similairement masquées. C’est un moyen de faire partie d’un groupe d’action en s’y fondant anonymement, un peu comme l’uniforme de police ou militaire. Mais outre ces considérations d’ordre général :

  • C’est une manière de protéger son identité pour éviter des représailles, notamment en milieu de travail. Quoi qu’en pensent nos ennemi.e.s, les antifascistes sont des personnes parmi d’autres qui évoluent elles aussi en société et occupent des emplois dans tous les domaines. Comme tout le monde, quoi. Malheureusement, dans certains domaines d’activités professionnelles, la hiérarchie perçoit d’un mauvais œil la participation à des mouvements jugés radicaux, et le port du masque en manifestation permet de minimiser les risques de conséquences négatives. Cela vaut également pour les personnes dont l’autorité familiale s’oppose aux activités de ce type, par exemple.
  • C’est une façon de protéger son identité contre les ennemi.e.s idéologiques. Les fachos documentent nos mouvements pour la même raison que nous documentons les leurs : pour nous nuire. Le doxxing est une pratique courante consistant à divulguer les renseignements personnels d’une personne pour lui nuire de manière générale, et dans certains cas, laisser planer une menace de représailles physiques. C’est une tactique employée par les antifascistes principalement pour révéler les activités d’une personne identifiée comme fasciste à son entourage; mais cette tactique peut aussi se retourner contre nous avec de graves conséquences. En règle générale, il est bon que l’ennemi.e dispose du moins d’information possible sur nous, d’où l’importance de cacher son identité en public.
  • C’est une façon de protéger son identité face aux médias. Les médias ne sont généralement pas sympathiques aux mouvements radicaux, comme le mouvement anticapitaliste ou plus récemment le mouvement antifasciste. La complicité des médias capitalistes avec la police et l’appareil répressif de l’État ne doit pas être sous-estimée. Les médias ont souvent livré sans poser de questions des images à la police comme preuves pour faire condamner des antifascistes. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes nombreux et nombreuses à croire qu’il est tout à fait légitime de chasser les journalistes lorsqu’ils refusent d’arrêter de nous filmer.
  • C’est un moyen rudimentaire pour se protéger des gaz lacrymogènes et autres armes chimiques employées par la police. Combiné à d’autres moyens servant à neutraliser les effets de ces armes chimiques, un masque de tissu ou de papier tout ce qu’il y a de plus ordinaire est très utile.
  • C’est une façon d’empêcher d’être identifié.e et fiché.e par la police. La police maintient de vastes banques de données où elle conserve des renseignements sur les militant.e.s de la gauche radicale. Il serait naïf de croire que la police ne garde des fiches que sur les personnes ayant été accusées ou trouvées coupables de délits criminels! Dans toutes les manifestations, la police déploie une section d’identification chargée de prendre des photos des manifestant.e.s.
  • C’est finalement un moyen de masquer son identité lorsqu’on recourt à des tactiques illégales et ainsi éviter des poursuites pénales. Il serait malhonnête, par exemple, de prétendre que le port du masque n’a rien à voir avec le geste politique consistant à s’en prendre physiquement aux fascistes, le cas échéant, lorsqu’ils ont la mauvaise idée de se trouver sur le chemin d’un contingent antifasciste. Il serait tout aussi malhonnête de prétendre que les antifascistes se masquent DANS L’UNIQUE BUT de commettre des gestes illégaux, comme si c’était là une fin en soi.