Ce qui devait être le point de départ d’une nouvelle mobilisation raciste au Québec s’est avéré un fiasco complet pour l’extrême droite. Des néonazis et racistes de la région de Montréal ont réussi à accomplir ce que les antifascistes de la région essaient de faire depuis quelque temps, soit d’exposer des pans complets de l’extrême droite pour ce qu’ils sont vraiment, semant du fait même la division au sein de leurs rangs et nuisant à leur progression.

Ce qu’ils ont voulu faire

Suite à l’annonce dans les médias d’une recrudescence d’individus et de familles fuyant le climat et les politiques anti-immigrant aux États-Unis, ainsi que la décision du gouvernement d’accueillir et d’héberger temporairement une partie de ces réfugiés dans l’enceinte du Stade olympique de Montréal, des racistes de la région de Montréal ont appelé à la tenue d’une manifestation dimanche dernier (6 août) aux abords du Stade olympique.

La manifestation devait être « organisée » par Philippe Gendron, un skinhead raciste de Montréal, David Leblanc, un acolyte de Gendron, et « Sue Elle », une membre de La Meute particulièrement active sur les médias sociaux. Gendron et Leblanc étaient tous deux précédemment associés à la section locale des Soldats d’Odin, et les trois sont actuellement proche du Front patriotique du Québec, une minuscule secte nationaliste dont il est question dans notre récent exposé sur la raciste Louise Duval, alias « guindon87 ».

Philippe Gendron, skinhead néonazi, proche des Soldats d’Odin et du Front patriotique du Québec. Remarquez la croix celtique «White Power» tatouée sur son cou… Faudrait surtout pas croire que ce gars est raciste, hein…


Malgré les démentis ultérieurs voulant que la manifestation du 6 août ne comporte aucune intention raciste (et malgré la vidéo publiée par Gendron sur sa page Facebook ordonnant à ses suiveux de ne pas apporter de pancartes ou de signes explicitement racistes), l’événement était organisé sous le mot d’ordre « Les nôtres avant les autres », un slogan popularisé par des groupes fascistes en Europe et repris au Québec par le groupuscule ouvertement raciste Fédération des Québécois de souche. De plus, l’appel à manifester précisait que l’enjeu central en était un de « génocide culturel et identitaire », un autre leitmotiv de l’extrême droite.

Appel Facebook pour la manif raciste et anti-réfugiés du 6 août 2017, à Montréal.

Initialement, la manifestation promettait d’être une démonstration de force visant à intimider les réfugié-e-s hébergé-e-s au Stade olympique. Dans les médias sociaux, des messages en appui à la manifestation ont été partagés par de nombreux skins néonazis ainsi que par des membres de La Meute, par Guy Boulianne, petit chef du Mouvement républicain du Québec, et par d’autres individus, groupes et pages de médias sociaux associés à l’extrême droite. La page « Anti Antifa Québec » a clairement annoncé que l’une des raisons de participer à cette manifestation était de cibler les antifascistes sur un mode violent. Dave Tregget, de Storm Alliance, a enregistré un message spécial en anglais pour appeler les Canadiens à faire le voyage jusqu’à Montréal pour se joindre à cette « mobilisation historique ». Au sujet des réfugié-e-s, Tregget explique à ses fidèles : « Je ne dirai pas que c’est une invasion, mais je ne dirai pas que ça n’en est pas une. » La rumeur a circulé selon quoi Colin Oleary, le chef de Storm Alliance au Canada anglais, organisait du transport pour emmener ses membres à Montréal.

Le chef de Storm Alliance au Canada anglais, mobilise ses suiveux pour la manif raciste du  6 août à Montréal.

Comment ils se sont plantés

Puis toute la patente est partie en vrille… Vendredi le 4 août, le groupe islamophobe La Meute a émis une déclaration publique pour se dissocier de la manifestation, prétextant que toute la démarche était trop évidemment raciste. Guy Boulianne du MRQ a suivi, en répétant fidèlement l’annonce de La Meute, pratiquement mot pour mot. L’ironie de la chose, bien entendu, est que La Meute et le MRQ sont aussi des organisations racistes, la première faisant une obsession paranoïaque au sujet des musulmans, et la seconde présentant une phobie plus générale des immigrant-e-s et une adhésion à diverses théories du complot antisémites. Quoi qu’il en soit, les deux groupes font une priorité de nier leur racisme et, dans une certaine mesure, croient probablement en la sincérité de leur déni. (Pour celles et ceux qui portent attention, le MRQ est la gang de broche-à-foin derrière le colloque d’extrême droite expulsé du Collège Maisonneuve en juin dernier et forcé de se regrouper dans une grange pleine de fumier à St-Lazare https://montreal-antifasciste.info/fr/2017/06/09/communique_17_juin_2017/. Le MRQ voulait organiser un autre colloque en septembre, en insistant pour le faire à Montréal, mais ils ont été forcé d’annuler carrément l’événement cette fois-ci, à nouveau sous la menace d’une intervention des antifascistes! Un profil de ce groupe sera publié ici sous peu.)

Éric Proulx, petit chef de la coalition islamophobe La Meute, dissocie son groupe de la manif raciste du 6 août.

Guy Boulianne, du Mouvement républicain du Québec, dissocie son groupe de la manif raciste du 6 août.

(La dissociation publique de La Meute est particulièrement intéressante. Plus tôt cette année, les leaders du groupe ont publiquement déclaré qu’ils offraient leurs services comme force de sécurité n’importe où au Québec pour toute manifestation ou rassemblement d’extrême droite, afin de défendre leur « liberté d’expression » contre la menace des antifascistes.)

Une fois que La Meute et le MRQ eurent retiré leur appui à la manifestation raciste, celle-ci n’était plus soutenue que par Storm Alliance (une faction dissidente des Soldats d’Odin) et un noyau dur de racistes impénitents, dont de nombreux skinheads néonazis et le navrant George Hallak, la coalition d’un seul homme du Canadian Coalition of Concerned citizens.

En réaction à leur isolement de plus en plus évident, les organisateurs de l’événement se sont mis à dire que la manifestation n’était pas du tout contre les immigrant-e-s ou les réfugié-e-s, et qu’elle n’avait en réalité rien à voir avec les personnes et familles hébergées au Stade olympique, mais bien contre le parti libéral et Justin Trudeau. Même si l’extrême droite, et en particulier le Front patriotique du Québec, a effectivement réussi a mobiliser du monde au cours des derniers mois sur une base similaire, soit de « s’opposer aux libéraux et à la corruption gouvernementale », cette fois-ci, la mascarade était tout simplement trop évidente, compte tenu des mots-clés fascistes et racistes employés dans l’appel original et du fait que le rassemblement devait avoir lieu tout juste devant le Stade olympique. De plus en plus de personnes ont commencé à dire qu’elles ne se présenteraient pas, moins de cent personnes ont confirmé leur participation sur Facebook, alors qu’en même temps, la contre-manifestation antiraciste organisée par Solidarité sans frontières, le Comité d’action des sans-statut Haïtiens et leurs allié-e-s, sous la bannière «Bienvenue aux réfugié-e-s; Expulsoins les racistes!», annonçait une mobilisation de près d’un millier de personnes.

Samedi après-midi, la manifestation raciste a été officiellement annulée par Philippe Gendron dans une vidéo affichée sur son mur Facebook, où il niait à nouveau l’intention de s’opposer aux réfugié-e-s et blâmait la gauche montréalaise et George Soros (!) pour le fait que les racistes ne pourraient pas se réunir en sécurité. Dans la foulée, Colin Oleary a publié une vidéo en anglais où il essayait tant bien que mal d’expliquer que Storm Alliance se retirait de la démarche pour les mêmes raisons que le MRQ et La Meute, c.-à-d. parce qu’ils se sont rendu compte que toute l’affaire était trop manifestement raciste. Cette sortie passablement hypocrite était quelque peu bonifiée quelques heures plus tard, lorsque Dave Tregget admettait qu’un facteur important de leur retrait était l’importante mobilisation antiraciste et le manque de sécurité de leur côté.

Dave Tregget, de Storm Alliance, remercie le néonazi Philippe Gendron pour son «initiative citoyenne».

En fin de compte, le jour en question, des centaines de personnes se sont réunies pour envoyer un message clair que les réfugié-e-s sont bienvenu-e-s ici et que nous sommes déterminé-e-s à confirmer le caractère antiraciste de Montréal. Malgré la présence de quelques individus racistes dans les parages, on n’a signalé aucun incident.

Leçons à tirer

Si nous ne nous étions pas mobilisé-e-s contre la manifestation raciste prévue, et sans l’organisation de base contre la montée de l’extrême droite de façon générale, il n’y a absolument aucune raison de croire que La Meute ou le MRQ se seraient dissociés de la démarche. Il n’y aucune raison de croire que ce rassemblement haineux aurait été annulé. C’est notre pression qui a provoqué la dissension dans leurs rangs et finalement fait échouer leur mobilisation avant même qu’ils puissent prendre la rue.

L’extrême droite en Amérique du Nord a gagné en vigueur depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2016. Paradoxalement, cette résurgence ne s’est vraiment galvanisée au Québec que dans la foulée du massacre de six fidèles musulmans dans une mosquée par Alexandre Bissonnette, un fanatique d’extrême droite, en janvier dernier.

Des groupes comme La Meute, le Mouvement républicain du Québec, le Front patriotique du Québec et Storm Alliance espèrent opérer une percée dans le grand public et comptent certainement bon nombre d’individus qui ne se considèrent pas comme des racistes. Et pourtant, depuis le massacre de la mosquée de Québec, on observe une unité de plus en plus grande, non seulement entre ces groupes, mais aussi avec des regroupements néofascistes et/ou ouvertement racistes, comme la Fédération des Québécois de souche et Horizon Québec Actuel. Ce que le « plantage raciste » du 6 août démontre est que derrière cette unité apparente existent des tensions et des possibles lignes de fractures, tandis que plusieurs souhaitent prendre la direction, mais que tout le monde n’est pas disposé à prendre les mêmes risques.

En tant qu’antiracistes et antifascistes, c’est la pression que nous avons créée et maintenue qui a provoqué ce plantage épique entre les différents groupes d’extrême droite. C’est notre rôle de maintenir cette pression et de systématiquement pourrir la vie de nos ennemis. En même temps, il nous faut reconnaître que ce qui se produit politiquement est la conséquence de développements plus profonds et plus larges : l’offensive xénophobe de l’administration Trump s’insère dans une recrudescence mondiale du nationalisme suprématiste blanc, laquelle est une conséquence des crises politiques, économiques et écologiques qui se déploient actuellement à l’échelle mondiale. Ces phénomènes structurels sous-jacents ne sont pas prêts de disparaître et il nous faut continuer à nous préparer aux prochaines offensives racistes inévitables.