Le vendredi 15 mars 2019, moins de 24 heures après la tuerie islamophobe perpétrée à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, l’animateur d’un site Internet québécois a publié et diffusé une traduction française du manifeste du tueur.
Pour quelle raison voudrait-on amplifier le message du tueur en se précipitant pour en produire une traduction? Ça n’est pas un innocent faux pas qu’on pourrait simplement imputer à la maladresse d’un mauvais journaliste : c’est une amplification volontaire du signal (signal boost) du manifeste islamophobe. D’autant plus que le traducteur a une histoire chargée et documentée d’islamophobie en ligne.
Rappelons que dans le cadre de son opération de propagande et de relations publiques, le tueur avait lui-même publié son manifeste de 74 pages, où il expose sa démarche, prête allégeance à l’idéologie fasciste et appelle les suprémacistes blancs du monde entier à imiter son geste abominable.
Mais qui a bien pu publier le manifeste en français?
Il s’agit du site internet Les Manchettes, qui existe depuis 2017 et se spécialise dans le partage et le spin de fausses nouvelles, de théories du complot et de textes d’opinions, nationalistes, conservatrices et islamophobes. Tout indique que le site Les Manchettes soit le projet d’une seule et unique personne, qui en assure la maintenance et semble signer pratiquement tous les articles, soit André Boies, alias Bo Bois sur Facebook.
Il ne fait aucun doute que Boies est l’auteur de la traduction française du manifeste et que c’est lui qui l’a mise en ligne et diffusée. D’une part, il n’a pas hésité à s’en vanter sur Facebook :
Et si cela ne suffisait pas à prouver qui est l’auteur de la traduction, Boies a oublié ou n’a pas cru bon de supprimer les métadonnées du document PDF publié en ligne, lesquelles identifient le propriétaire du logiciel employé pour le produire :
Dans une discussion avec d’autres islamophobes, Boies explique qu’il a aussi fait une copie de la vidéo de l’attentat « au ka qu’on censure » (sic) :
Qui est André Boies?
André Boies, alias Bo Bois, est un designer graphique qui vit actuellement à Montréal. Il est très actif dans la fachosphère nationaliste québécoise, sur Facebook et Twitter, et publie au moins un article par semaine sur le site Les Manchettes. Il travaille dans le domaine de la création Web avec sa compagnie « Graphixab », laquelle est la dernière d’une longue liste d’entreprises éphémères. Il fait aussi profiter la fachosphère québécoise de ses talents de graphiste, en offrant ses services aux militant.e.s d’extrême droite pour réaliser des autocollants lèttes.
Boies, comme la majorité des énergumènes qui composent la nébuleuse d’extrême droite québécoise, est obsédé par l’Islam, comme le démontre entre autres son commentaire ci-dessous (Coudonc, tout le monde la [sic] dit que l’islam c’est de la grosse marde!). Il utilise par ailleurs ses façades de compagnie, comme le compte Twitter « Sticker Decal », pour propager des théories du complot, comme l’idée que l’attentat de Christchurch serait une « attaque sous fausse-bannière » (Sondage : Pensez-vous que l’attentat survenu en Nouvelle-Zélande soit un possible false flag?).
En ligne depuis à peine quelques années, son site Web compte des dizaines d’articles où il relaie sans aucune retenue l’islamophobie décomplexée qui définit une immense partie des cercles nationalistes de droite et d’extrême droite au Québec, et qui est de plus en plus normalisée partout en Occident. Boies propage aussi sur son site des théories du complot absurdes et diffamantes, comme l’idée que la certification halal au Canada soit un moyen de financer le terrorisme! Il suffit de faire une recherche Google pour se rendre compte de l’obsession que cultive Boies pour l’Islam et les musulmans.
Voici un échantillon de ses publications xénophobes et islamophobes (y compris un graphique à l’appui de la théorie du « grand remplacement », laquelle est l’élément central du manifeste du terroriste de Christchurch):
La tumultueuse histoire criminelle de Boies révèle que le bonhomme n’est pas étranger à la diffamation! Il s’est même chicané avec la SQ en 2012 à savoir qui était le pire diffamateur entre les deux. Cet incident a dû l’échauder, car il semble être encore aujourd’hui préoccupé par la question…
Un « de souche » qui embarrasse même le Parti Québécois
Boies fait manifestement partie de la mouvance « patriote » la plus dure. Celle qui trouve que La Meute n’est pas assez radicale et est trop fédéraliste. Au moment où surgissaient plusieurs fractures internes au sein de l’extrême droite, à l’été et l’automne 2018, Boies a choisi de militer agressivement pour le PQ en vue des élections provinciales.
Il s’est entre autres pathétiquement illustré en recouvrant son char d’autocollants aux couleurs du Parti Québécois pour aller intimider des bénévoles de Québec Solidaire dans Rosemont! (VICE a d’ailleurs documenté son humiliation quand, en août 2018, le PQ l’a intimé d’enlever le logo du parti de son véhicule.)
Mais pourquoi avoir voulu publier le manifeste du terroriste?
Boies se défendra peut-être d’avoir traduit et publié le manifeste dans un intérêt purement journalistique, mais n’importe quel professionnel ou spécialiste de l’information vous dira qu’une pareille démarche d’amplification du message est extrêmement douteuse sur le plan éthique et cache sans doute un autre motif.
En ce qui nous concerne, la publication du manifeste en français n’est pas une simple erreur de jugement. Compte tenu de l’historique islamophobe de Boies, il est permis de croire que son empressement à traduire et à republier le manifeste du meurtrier relève d’une volonté de diffuser plus largement les idées et les motivations de celui-ci, dont l’acte terroriste a coûté la vie à 50 personnes de confession musulmane en Nouvelle-Zélande.
Ça n’est pas non plus une coïncidence si le lendemain de l’attentat, André Boies est venu écornifler du côté des (faux) gilets jaunes islamophobes, devant TVA, face à un rassemblement de solidarité avec les victimes de la tuerie. Clairement pas venu là pour s’y recueillir, il est plutôt resté quelques minutes en retrait pour prendre en photo les militant.e.s antiracistes et antifascistes. Il a publié le même jour un article déplorant le gaspillage de fonds publics que représentait pour lui le rassemblement public en solidarité aux victimes.
Appel à la vigilance et à l’action contre l’islamophobie
L’islamophobie est aujourd’hui tellement banalisée au Québec, qu’un militant nationaliste proche de l’extrême droite peut, dans la journée même où a eu lieu le massacre de 50 personnes, traduire précipitamment le manifeste du terroriste et diffuser sa traduction bancale sur les réseaux sociaux, sans que cela ne trouve un écho dans les médias traditionnels ou soit même dénoncé par qui que ce soit. (En même temps, en Ontario, les autorités ont « ouvert des enquêtes » sur un néonazi notoire qui a partagé le manifeste sur son site, et un autre qui listait les cibles que devraient prioriser les loups solitaires.)
Il est grand temps que nous prenions collectivement la mesure du problème de l’islamophobie dans la société québécoise et canadienne, et que les forces antiracistes se regroupent pour contrer la haine et l’intolérance qui se normalise de plus en plus à l’égard des communautés musulmanes.
L’une des choses les plus simples que nous avons le pouvoir de faire est de pointer du doigt et de dénoncer les facilitateurs de l’islamophobie comme André Boies.
P.-S. Boies est aussi venu scèner autour de la Manifestation contre le racisme et la Xénophobie, à Montréal, le dimanche 24 mars. Il a été surpris que des antifascistes l’interpellent par son nom et lui demandent de dégager. Il en a même fait un article pour son site de merde…
« Je n’ai vraiment aucun commentaire négatif contre ces antifas, ils ont été quand même sympathiques, ils m’ont quand même demandé très poliment de quitter les lieux. »
Merci, André. Tu sauras maintenant qu’on a souligné ton nom au crayon rouge dans notre petit carnet des ordures à surveiller.