À la suite des deux manifestations d’extrême droite qui ont eu lieu le 1er juillet dernier à Montréal, une « fausse nouvelle » particulièrement troublante a commencé à circuler sur les médias sociaux. Tandis que La Meute et Storm Alliance étaient coincées par les antifascistes, une plus petite manifestation convoquée par le Front patriotique du Québec (FPQ) est allée du Carré St-Louis au Pont Jacques Cartier. Dans l’heure qui a suivi la fin de cette manifestation, une histoire commença à circuler dans les réseaux du FPQ et dans ceux de groupes comme La Meute et Storm Alliance. Selon cette histoire, il y aurait eu une attaque brutale contre trois autochtones qui voulaient rejoindre la manifestation du FPQ. Des antifascistes auraient repéré ces « patriotes » à une station de métro non-identifiée et les auraient battus si durement que les trois personnes auraient eu besoin d’être hospitalisées.

 

Dans une autre publication Facebook, cette même « Calinda Nath Grondin Cado » prétendit que c’était le militant Jaggi Singh qui avait mené cette agression violente :

 

Alors que l’histoire était diffusée sur Twitter par le membre de La Meute Sébastien Chabot (alias World Truth), le scénario changea quelque peu et c’était désormais « les troupes d’Ève Torres » qui avaient envoyé les trois autochtones à l’hôpital :

 

La façon dont les gens présentaient cette histoire sur les médias sociaux impliquait que des « antifas » aient attaqué des autochtones qui désiraient participer à la manifestation du FPQ. Cette version s’inscrit dans un récit de plus en plus répandu dans les milieux de la droite national-populiste voulant que les Québécois n’aient pas été des colonisateurs mais plutôt des alliés historiques des peuples autochtones qui sont maintenant appelés à appuyer le Québec dans son combat contre « l’invasion » de l’immigration « illégale » et contre un gouvernement fédéral canadien (anglais) corrompu.

Le principal problème de cette histoire est, bien entendu, qu’elle est totalement fausse. Entièrement fausse ! Comme cela a été d’ailleurs rapidement démontré.

Grâce au travail de camarades du compte Twitter @LeTroupeauQC, il devint rapidement clair que les personnes battues sur les photos étaient certes des victimes d’agressions violentes, mais pas à Montréal, pas en 2018, et pas par des antifascistes !

Mathieu Grégoire a été la victime d’une agression homophobe dans la Beauce en 2016:

 

Stephanie Littlewood a été victime d’une agression brutale par son ex-conjoint à Leeds, en Angleterre, en 2016 :

 

Nagieb Khaja est un journaliste qui a été battu par des gardes-frontière à la frontière de la Turquie et de la Syrie en 2015 :

 

Une nouvelle fois, l’extrême droite se fait prendre à colporter des « fausses nouvelles » ! Ce qui est frappant dans ce cas-ci, c’est non seulement à quel point le mensonge était éhonté mais aussi à quel point il a été révélé rapidement par notre camp. En effet, en l’espace de 24h, des membres de La Meute étaient avertis de ne pas partager l’histoire pour éviter de discréditer leur camp :

 

Bien qu’il soit positif de voir que même nos opposants reconnaissent maintenant que cette histoire est fausse, ce serait une erreur de notre part de simplement passer à autre chose sans souligner certains aspects de cette dynamique.

Tout d’abord, quelques mots sur les deux personnes accusées publiquement sur les médias sociaux d’être responsables de l’agression. Ève Torres est candidate pour Québec Solidaire dans la circonscription d’Outremont-Mont-Royal et a eu une importante couverture médiatique en partie parce qu’elle porte le hidjab. Jaggi Singh est militant anarchiste et antifasciste de Montréal qu’autant l’extrême droite que les médias de masse présentent régulièrement comme le « chef des antifas » (sic !). Torres comme Singh ont passé tout l’après-midi à la manifestation contre La Meute et n’auraient donc pas pu participer à une agression ailleurs en ville, si celle-ci avait vraiment eu lieu. Mais l’extrême droite n’en est pas à un détail près.

Il s’agit d’un cas de calomnie et d’incitation à la violence. D’ailleurs, plusieurs personnes ont commenté sur les médias sociaux qu’il y aurait des représailles pour cette (non)agression. Ce n’est également pas un hasard que les deux personnes visées par la propagande de l’extrême droite soient celles-ci. Les femmes portant le hidjab et les personnes racisées, et d’autant plus si elles sont militantes, sont les principales cibles de l’extrême droite et finissent toujours au sommet de leur liste « d’ennemis ». Une situation que les médias de masse et la classe politique contribuent à créer et à cultiver par un discours raciste, sexiste et islamophobe.

 

Ensuite, ce cas vient nous rappeler que l’extrême droite s’appuie sur des mensonges et des idées fausses. Rien de nouveau, direz-vous, on le savait déjà. Néanmoins, nous assumons que la plupart de nos opposants sont au moins sincères—à savoir qu’ils croient aux mensonges qu’ils colportent. Or, il est important de garder à l’esprit qu’il existe des acteurs influents qui agissent en connaisse de cause, qui savent que leurs co-légionnaires sont crédules et qui en profitent consciemment en fabriquant des mensonges pour faire avancer leurs revendications et leur agenda (on l’a bien vu en décembre 2017, lorsque de « fausses nouvelles » ont visé des mosquées à Côte-des-neiges, et plus récemment, lorsqu’un troll d’extrême droite a fabriqué de fausses « preuves » d’agression sexuelle par un médic aux mobilisations contre le G7 à Québec). Que ces individus soient des agents de la police cherchant à manipuler la situation, des personnes ayant un besoin pathologique d’attention, ou des acteurs politiques sans scrupule n’hésitant pas à mentir à leur propre camp, est souvent difficile à dire.

Ce genre de méthodes politiques est appelé « opérations psychologiques » par la police et l’armée. Les mouvements progressistes doivent comprendre que nous sommes actuellement dans un contexte où les opérations psychologiques sont de plus en plus courantes et qu’il est nécessaire de prendre des précautions pour limiter leur impact. Ce problème ne va pas disparaitre et il serait erroné et naïf de notre part de croire qu’il s’agit là de cas isolés et que tous les cas seront faciles à repérer. La vigilance s’impose.