À moins d’un imprévu, le projet de loi 21 — où « Loi sur la laïcité de l’État » — sera adopté par bâillon à l’Assemblée nationale ce vendredi 14 juin 2019 (correction: le projet de loi sera vraisemblablement adopté au cours du weekend du 15-16 juin). Nous souhaitons énoncer explicitement notre opposition à ce projet de loi, que nous considérons comme étant discriminatoire et une manifestation concrète de la normalisation d’une certaine rhétorique raciste, xénophobe, islamophobe et misogyne que nous observons depuis de nombreuses années dans la sphère politique au Québec, laquelle favorise l’essor des groupes d’extrême droite.

 

Le projet de loi 21 et ses implications

Le projet de loi comporte plusieurs aspects, notamment :

  • Il modifie la Charte québécoise des droits et libertés de la personne afin de rajouter la laïcité comme valeur prépondérante de la société québécoise;
  • Il interdit le port de symboles religieux aux employé.es du secteur public – ceci inclut, entre autres, les enseignant.es du secteur public, les notaires, les commissaires, et les avocat.es dans plusieurs domaines;
  • Il impose le visage découvert dans la provision ou la réception de tout service public – par exemple, les soins de santé reçus dans un hôpital ou un CLSC, ou même le transport en commun;
  • Il ne touche pas les symboles du « patrimoine culturel québécois »; en d’autres termes, les crucifix des tribunaux et de l’Assemblée nationale sont épargnés (à noter que la CAQ a été beaucoup critiquée pour son hypocrisie sur ce point et a annoncé le 6 juin 2019 que les crucifix des tribunaux seraient décrochés suite à l’adoption de la loi).

Les implications de ce projet de loi sont multiples, et certaines nous paraissent très dangereuses, surtout dans le climat politique actuel. Alors qu’en théorie, le projet de loi vise l’ensemble des symboles religieux et tous types de recouvrements du visage, il est clair que les principales personnes visées sont celles de confessions religieuses minoritaires, incluant, par exemple, les personnes de confession juive qui portent la kippa ou les Sikhs qui portent le turban de même que les personnes portant des symboles traditionnels des nations autochtones. De plus, dans le climat sociopolitique actuel du Québec, la loi affectera de façon particulière les femmes musulmanes portant le hijab. Celles qui portent le niqab seront affectées de façon plus aiguë encore, vu qu’elles sont également visées par les clauses de la loi  portant sur les services à visage découvert.

D’un côté, le combat contre la loi 21 est clairement un combat féministe. Les personnes les plus affectées — et les plus visées, on s’entend — par la loi seront des femmes, en particulier des femmes musulmanes. On peut facilement faire le lien entre de telles lois et d’autres enjeux féministes d’actualité, comme la vague de lois antiavortement qui traverse les États-Unis. Avec le projet de loi 21, on assiste encore une fois à un gouvernement qui tente de réguler le corps des femmes, cette fois en déterminant ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas porter. Alors que les rangs pro-PL21 ne sont pas en manque d’hommes (majoritairement blancs et non-musulmans) qui condamnent les symboles religieux que portent les femmes musulmanes pour leur « caractère oppressif envers la femme », il faut quand même souligner que, d’une part, ces hommes ont si souvent des attitudes misogynes et des comportements oppressifs envers les femmes dans leurs propres mouvements et dans leurs relations interpersonnelles qu’il faut se demander à quel point ils se crissent réellement des enjeux des femmes et de l’égalité quand ça ne convient pas à leur argumentaire politique. Et, d’autre part, on remarque que lorsqu’on parle avec des femmes musulmanes québécoises, la plupart disent porter le voile par choix et comme partie intégrante de leur pratique religieuse personnelle. Évidemment, nous sommes contre le fait de forcer une femme à porter quoi que ce soit. Il ne s’agit pas ici de défendre le voile en soi, mais plutôt de défendre le droit des femmes à choisir ce qu’elles portent.

D’un autre côté, nous constatons — dans le texte même du projet de loi ainsi que dans ses implications — que le projet de loi 21 établit un précédent en matière de discrimination légale et systémique envers les personnes issues de minorités religieuses, qui, en l’occurrence, sont aussi souvent des femmes et des personnes racisées. Ces personnes sont généralement présumées immigrantes (qu’elles le soient ou non) et le projet de loi ainsi que les groupes qui l’appuient semblent animés d’un sentiment xénophobe réel, quoique pas forcément assumé comme tel. On accuse ces personnes — du moins implicitement — de ne pas être suffisamment assimilées ou assimilables aux « valeurs » et à la « culture » de la société québécoise blanche, francophone et catholaïque. Suite à l’adoption du projet de loi 21, les implications de ne pas être « suffisamment assimilée » pourraient être très dures. Une fois la loi en vigueur, les femmes musulmanes portant le niqab ne pourront plus aller à l’hôpital ou utiliser le transport en commun. De nombreux enseignant.es musulmanes, sikhs et juifs devront choisir entre leur foi et leur carrière. À moins qu’illes décident de quitter le Québec, une option que plusieurs disent prendre en considération en ce moment.

L’adoption d’une telle loi risque également, bien sûr, d’encourager les groupes d’extrême droite xénophobes et islamophobes et de contribuer à une augmentation des crimes haineux envers les minorités religieuses, les immigrant.es, et les personnes racisées. Bref, ce projet de loi est dangereux!

 

La grande question de la laïcité

Pour nous, prendre position contre le projet de loi 21 et l’interdiction des signes religieux ne signifie pas une opposition à la laïcité, bien au contraire. Nous sommes entièrement d’accord avec l’idée que l’État n’ait pas l’autorité d’imposer une religion à qui que ce soit. Cela étant dit, nous ne croyons pas que le projet de loi 21 incarne vraiment la neutralité religieuse. Tout d’abord, l’interdiction des signes religieux – ainsi que l’interdiction de se couvrir le visage pour motif religieux – repose sur une interprétation particulière de ces mêmes signes, ce qui va à l’encontre du principe de laïcité voulant que l’État ne puisse interpréter la signification des symboles religieux. Soit dit en passant, il est intéressant de souligner que les personnes et groupes qui appuient le projet de loi 21 ne remettent généralement pas en question les avantages fiscaux dont jouissent la plupart des organisations religieuses ainsi que les subventions dont bénéficient les écoles privées confessionnelles. En d’autres termes, le projet de loi 21 représente une laïcité factice qui contribue à la stigmatisation de certaines minorités religieuses et ethniques tout en prenant bien soin de préserver les intérêts de la majorité catholique dont les institutions et les symboles sont présentés comme faisant partie de notre patrimoine.

Enfin, bien que le gouvernement s’en défende, il nous semble clair que le projet de loi 21 n’est que l’étape la plus récente d’un processus qui s’accélère depuis plus d’une décennie : un processus de redéfinition de l’identité québécoise sur des bases identitaires/ethniques, et de façon xénophobe et exclusive. Ce projet de loi divise profondément notre société et exclut les religions non chrétiennes qui sont présentées comme étrangères à la nation et au corps social. Ainsi, le projet de loi 21 a davantage à voir avec la redéfinition de l’ordre national qu’avec la laïcité comme telle, et on peut affirmer sans aucune réserve qu’il n’a rien à voir avec une prétendue neutralité de l’État!

 

Des « consultations publiques » biaisées

En mai 2019, le gouvernement Legault a organisé des « consultations particulières et auditions publiques » portant sur le projet de loi 21 et ses implications. Nous sommes de l’avis que ces consultations étaient profondément biaisées en faveur de l’adoption du projet de loi, et n’auront été qu’un exercice de légitimation dudit projet et d’apaisement des critiques (parce que le « processus démocratique » aura suivi son cours en bonne et due forme, voyez-vous… et de toute manières « la majorité » appuie le gouvernement).

Nous notons particulièrement la présence de Djemila Benhabib, du Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité, dès les débuts des auditions. Mme Benhabib, ancienne candidate du PQ connue pour son opposition au « fondamentalisme islamique », est une islamophobe proche de l’extrême droite québécoise. Par exemple, en mai 2017, lors d’un colloque sur la liberté de la presse qu’elle animait avec Mathieu Bock-Côté, la sécurité était assurée par des membres du groupe antimusulman La Meute. Plusieurs groupes nationalistes et identitaires, comme la Ligue d’action nationale et le Mouvement national des Québécoises et Québécois, étaient également de la partie.

Nous ne prétendons pas que l’opposition au projet de loi a été totalement absente des consultations. La Coalition Inclusion Québec, la Fédération des femmes du Québec et la Ligue des droits et libertés, pour nommer quelques groupes qui s’opposent au projet de loi, étaient présentes. Cependant, il est impossible de nier la prépondérance claire de groupes et d’individus pro-PL21 qui ont participé à ces auditions. De plus, les groupes religieux — et donc les personnes directement affectées par le projet de loi — se sont vus refuser l’accès au processus de consultation. Enfin, le ministre Simon Jolin-Barrette n’a jamais semblé réellement ouvert et à l’écoute des arguments et des témoignages qui soulignaient les conséquences négatives du projet de loi. Chaque fois, il a invoqué l’impatience et l’appui de la majorité de la population — à partir de quelques sondages discutables — pour couper court aux échanges et éviter toute réflexion de fond. Tout ce processus de consultation n’aura été ainsi qu’une vaste farce, aussi biaisée que superficielle.

 

Notre position

Montréal Antifasciste tient à réitérer sa position ferme contre cette loi discriminatoire qui aura des répercussions néfastes pour des personnes et communautés marginalisées. Nous estimons que le projet de loi 21 représente une atteinte inacceptable aux droits des communautés religieuses minoritaires du Québec et reflète la normalisation d’un discours xénophobe, raciste, islamophobe et misogyne que nous constatons depuis quelques années dans la sphère politique québécoise. La normalisation de cette rhétorique encourage l’extrême droite, ce qui peut avoir des conséquences importantes et concrètes pour la sécurité et le bien-être d’importants segments de la population, et tout particulièrement pour les musulman.es, les immigrant.es, et les personnes racisé.es. Nous voulons également souligner que le gouvernement de la CAQ n’est pas l’unique responsable de cette normalisation xénophobe et islamophobe, et que celle-ci s’insère dans une logique plus grande et aux ramifications complexes liée au système capitaliste, colonial, patriarcal et suprémaciste blanc dans lequel nous vivons.

Par conséquent, nous appuyons les luttes contre l’adoption de ce projet de loi. Plus largement, nous continuerons à lutter contre la rhétorique, les idées et les conditions qui rendent possible et acceptable l’adoption d’une telle loi. Finalement, nous souhaitons ici exprimer notre solidarité et notre soutien envers les personnes qui seront affectées de façon néfaste par cette loi.