Montréal, le 9 janvier 2020 – Le 5 janvier dernier, l’émission The Fifth Estate diffusait sur les ondes de CBC un reportage portant sur la recrudescence des mouvements d’extrême droite au Canada du point de vue des militants et militantes antifascistes qui s’efforcent de combattre ce phénomène. Faisant exception à son protocole en matière de relations avec les médias de masse, le collectif Montréal Antifasciste avait accepté à l’été dernier de participer à ce projet dans l’espoir de diffuser ses idées et fondements politiques à un public dépassant largement son réseau d’influence habituel.

Suite au visionnement du reportage, nous dressons un bilan mitigé (quoique relativement positif) de l’exercice, lequel confirme et renforce par ailleurs les principes qui guident généralement nos rapports avec les médias de masse.

Il faut d’abord reconnaître que le reportage a permis de relayer efficacement le message fondamental qui sous-tend l’activité antifasciste : les groupes d’extrême-droite constituent un problème et un danger clair et immédiat qu’il faut enrayer par tous les moyens nécessaires. Le choix des intervenant-e-s et des citations tissant la trame du documentaire a adéquatement planté le sujet, exposé les enjeux et présenté certaines de nos positions de base. En cela, nous avons atteint notre objectif minimal.

Cela dit, et quoi qu’en pensent nos contempteurs-trices, il est évident que la veine de questions exploitée par l’animatrice ainsi que certains choix de montage reflétaient la volonté de nous entraîner sur des terrains minés et le souci de projeter une image d’impartialité ancrée dans les valeurs sacrées (faussement neutres) de la démocratie libérale.

Malheureusement, l’insistance quasi obsessive à nous cuisiner sur l’usage (éventuel) de la violence et la volonté de préserver notre anonymat, sur notre prétendu statut de « police de la pensée » et de « justicier-e-s populaires », ou sur le caractère « ironique » de notre démarche, a pris une place démesurée dans le reportage (de 23 minutes) et complètement occulté d’autres éléments importants de la pratique antifasciste abordés lors des entrevues. Il importe de préciser que deux entrevues de fond ont été accordées à The Fifth Estate aux fins de ce reportage, chacune de 45 minutes et plus, et que la majorité des questions ont porté avec insistance sur les thèmes mentionnés ci-dessus. Il va sans dire que les réponses incluses dans le montage final ne reflètent qu’une petite partie des éléments de réponse formulés lors de ces entrevues, alors que les autres questions abordées en ont été complètement retranchées.

On touche ici plusieurs limites inhérentes à l’économie des médias de masse et au type de journalisme que prône la société d’État. Au premier titre, le souci principal des journalistes semble de « paraître » neutre et impartial dans le traitement d’un sujet controversé, même si une telle chose relève du mythe, car il y a toujours un point de vue sous-jacent, qu’il soit explicite ou implicite. Ici, la base de référence est l’attachement idéologique aux « normes et valeurs » de la démocratie libérale, la soumission aveugle à la loi et à l’autorité de l’État, une définition apriorique de la violence comme catégoriquement irraisonnée, un respect des conventions sociales, etc. Pour les journalistes, ces valeurs sont la référence à l’aune de laquelle la légitimité d’une action politique est mesurée.

Les contraintes techniques liées au format de diffusion, qui est déterminé par des impératifs économiques, constituent une autre limite importante. Compte tenu du style privilégié par les journalistes de CBC, il est pratiquement impossible d’examiner de manière exhaustive et nuancée un sujet aussi dense en 20 minutes.

En voulant « rejoindre un plus large public », notre intention était de communiquer un certain nombre d’idées politiques qui auraient contribué à briser auprès du public l’image de voyous sanguinaires et décérébrés que projettent sans cesse nos ennemis. Malheureusement, bien que cela fût entièrement prévisible, il faut admettre que nous avons échoué à cet égard.

Nous avons expliqué l’origine de Montréal Antifasciste et les circonstances qui ont motivé sa création. Nous avons parlé des origines historiques du mouvement antifasciste et de la filiation directe de l’itération contemporaine avec ses précurseurs. Nous avons détaillé pourquoi nous adoptons une approche « no platform » et pris le temps d’expliquer en quoi la liberté d’expression n’est pas synonyme de liberté de répandre des discours haineux. Nous avons énuméré les différentes approches et tactiques que nous combinons selon différentes circonstances pour atteindre nos objectifs. Nous avons précisé que, sans pour autant rejeter le recours à la violence comme moyen, la confrontation physique ne constitue qu’une infime partie de l’ensemble des activités menées par les antifascistes. Nous l’avons longuement et dûment justifié, ce point de vue sur la violence. Nous avons insisté sur l’importance primordiale de l’éducation populaire et du renforcement communautaire. Nous avons spécifié que nous sommes des personnes normales, qui mènent au quotidien des activités normales et qui ont chacune leurs raisons personnelles pour s’impliquer dans ce mouvement. Que nous sommes réuni-e-s par l’empathie, le devoir de solidarité et le désir de créer un monde plus juste pour tous et toutes. Que la lutte antifasciste est indissociable des luttes contre le capitalisme, le racisme, le patriarcat et le colonialisme.

Mais tout ça a été coupé au montage.

Bien que globalement nous estimions avoir atteint l’objectif minimal que nous nous étions fixés, le bilan de cet exercice réitère la nécessité de produire nos propres contenus, selon nos propres termes et à notre propre rythme. Encourageons donc les documentaristes sympathisant-e-s et vidéoactivistes qui ne s’encombrent pas du fallacieux désir d’objectivité et s’engagent résolument en faveur de la cause antiraciste/antifasciste. Mieux encore, approprions-nous les moyens de produire nos propres instruments d’éducation populaire, livres, brochures, podcasts, vidéos et documentaires. La question de la portée du message reste toutefois entière, surtout depuis que les médias sociaux limitent la diffusion de contenus politiques à caractère radical. C’est pourquoi il nous faut donc également trouver les moyens d’atteindre un plus large public sans dépendre des médias de masse et de leurs partis pris conservateurs.

Pour finir, voici une liste de reportages et documentaires produits de manière indépendante et qui reflètent fidèlement les pratiques du mouvement antifasciste contemporain: