Vous êtes très nombreux·euses à nous avoir signalé au cours des dernières semaines une campagne massive d’affichage du groupuscule nationaliste identitaire Nouvelle Alliance sur les campus des CÉGEPS et universités de la région de Montréal, de Québec et de Sherbrooke. Nous avions anticipé cette poussée de NA pour la rentrée collégiale/universitaire, et prévu en conséquence une contre-campagne pour les accueillir et contrer leur diffusion toxique.
C’était attendu, d’une part parce que Nouvelle Alliance est une organisation de jeunesse qui avait, dès sa création, annoncé vouloir s’implanter dans les écoles, et d’autre part parce que les cégépiens de l’époque du Front canadien-français ont grandi et qu’ils fréquentent désormais les universités, en particulier l’UdeM, l’UQAM, l’Université Laval et l’Université de Sherbrooke.
Tout au long de l’été, Nouvelle Alliance a multiplié les affichages, principalement à Montréal et Québec, avant de conclure en force dans les deux dernières semaines.
Des antifascistes de différentes sensibilités se sont donc uni·es dans un front commun pour répondre comme il se doit à Nouvelle Alliance, par une contre-campagne d’affichage et de tractage qui visait plusieurs objectifs, dont :
- Faire connaître le travail de Montréal Antifasciste sur Nouvelle Alliance;
- Pousser les forces progressistes à s’organiser et se défendre contre leurs tentatives d’infiltration.
Même si notre campagne a pu freiner leurs ambitions et brouiller le signal qu’ils souhaitaient envoyer, rien n’indique que leur campagne d’affichage soit terminée, et il est certain que nous n’avons pas fini d’entendre parler de Nouvelle Alliance.
On pourrait croire qu’un tel déploiement d’énergie pour contrer un groupuscule somme toute modeste est de nature à lui donner plus d’attention qu’il n’en mérite, mais nous pensons que le rapport coût/bénéfice est largement en faveur d’exposer leurs agissements. Voici pourquoi :
- Les militants de Nouvelle Alliance disent eux-mêmes vouloir apporter la lutte pour l’indépendance (quoique dans leur cas, c’est en fait une lutte pour un nationalisme ethnique et de repli identitaire) « dans la rue »; ils transportent donc ouvertement dans l’espace public une hostilité envers les populations immigrantes et envers la minorité anglophone du Québec, ainsi qu’envers quiconque ne correspond pas à leur vision conservatrice du Québec; il est tout naturel que cette offensive « dans la rue » invite une réponse appropriée;
- Les anciens membres du Front canadien-français ont appris de leurs erreurs et avancent maintenant à visage découvert, mais en camouflant leurs véritables intentions. Sous la bannière de Nouvelle Alliance, ces militants multiplient les liens avec le mouvement souverainiste et en particulier avec le Parti québécois et son Conseil jeunesse. À ce titre, nous croyons qu’il est possible de faire un parallèle avec le travail mené par l’organisation Génération identitaire (aujourd’hui dissoute) en France vis-à-vis du Front/Rassemblement National de Marine Le Pen : se présenter comme une avant-garde militante, multiplier les actions coup de poing, et s’infiltrer dans les structures du parti jusqu’à en influencer les thèses.
Certains discours libéraux reprochent aux antifascistes de ne pas respecter la « liberté d’expression » des militants de Nouvelle Alliance. Il faudrait, selon ces personnes, faire preuve d’une plus grande tolérance à leur égard et débattre civilement avec eux sur le libre marché des idées, car ils ne seraient au fond que d’innocents patriotes, uniquement motivés par la noble ambition de faire du Québec un pays. Ces personnes semblent adhérer à l’idée que Nouvelle Alliance serait politiquement neutre, sans autres arrière-pensées.
Nous tenons une fois pour toutes à en finir avec cette notion selon laquelle Nouvelle Alliance ne serait « ni de droite ni de gauche ». Pour qualifier politiquement une organisation, il ne suffit pas de lire son site Web et de se fier au contenu qu’elle veut bien partager sur ses réseaux sociaux. Il faut aussi voir ce que cette organisation ne dit pas : qui en fait partie, quelles sont leurs influences, quelles sont leurs actions, qui sont ceux et celles qui les suivent et quelles sont leurs idées maîtresses. Voici cinq éléments démontrant hors de tout doute raisonnable leur véritable positionnement idéologique.
- Plusieurs membres clés, dont François Gervais, Suleyman Ennakhili et Jean-Philippe Desjardins-Warren, sont issus du Front canadien-français, un groupuscule de rue qui a voulu être une jeune garde identitaire pour le courant ultracatholique de l’extrême droite.
- Une recherche rapide parmi les abonné·es de la page Instagram du groupe montre leur public cible. On y trouve très vite des collectifs fascistes, royalistes, identitaires ou anti-immigration de différentes villes de la francophonie, tels que le Bloc Montpelliérain, l’Action Française Paris, Novelum Carcassonne (organisation fasciste fondée par Louis Fernandez, ancien d’Atalante expulsé du Canada suite à une agression sur un militant de gauche à Québec en 2018) et Hélix Dijon, pour ne nommer que ceux-ci. Autre fait intéressant, on voit parmi ces mêmes abonné·es une panoplie d’individus ouvertement fascistes et/ou néonazis, arborant fièrement sur leurs profils des Totenkopf, des croix celtiques et le chiffre 88 (dogwhistle signifiant He*l H*tler). Nous ne pourrions finir ce tour de table sans mentionner nos fascistes locaux, puisqu’Alexandre Cormier-Denis (Nomos.tv, sans doute le principal projet de « réinformation » d’extrême droite au Québec à l’heure actuelle) et la Fédération des Québécois de souche (fondée par des néonazis et animée au fil des ans par des figures clés de l’extrême droite québécoise) suivent également les identitaires de Nouvelle Alliance.
- Leurs évènements attirent la présence de néonazis bien connus du milieu québécois. En effet, il ne faut pas oublier la présence de Shawn Beauvais-MacDonald et de David Leblanc, deux individus bien connus des milieux antifascistes, à la manifestation organisée par Nouvelle Alliance le 20 mai 2024. Il importe peu que les membres de Nouvelle Alliance fussent au courant de qui était dans leur marche ou pas. Le fait est que leur groupuscule ethnonationaliste attire activement des antisémites, queerphobes, racistes dangereux et violents, qui voient en Nouvelle Alliance un cadre réceptif et accueillant. Force est de constater qu’ils ont eu raison, puisqu’ils ont été accueillis sous les drapeaux de Nouvelle Alliance.
- Lors de leurs sorties d’affichage des deux derniers mois, les membres de la Nouvelle Alliance ont systématiquement recouvert différentes affiches et collants identifiés à la gauche, poussant l’injure jusqu’à afficher directement sur la fenêtre de l’Organisation populaire des droits sociaux de Montréal, qui partage son local avec la section montréalaise du SITT-IWW. Pour Nouvelle Alliance, tous les ennemis y passent : collants Montréal Antifasciste et « Refugees Welcome », affiches pro-Palestine (l’indépendance de la Palestine serait-elle moins légitime que celle du Québec?), affiches du Nouveau Front populaire, du Parti communiste révolutionnaire, etc. Le modus operandi est clair, Nouvelle Alliance tente de recouvrir Montréal de propagande de droite, et spécifiquement d’effacer les couleurs de la gauche.
- Finalement, nous savons de source sûre que les principaux militants de Nouvelle Alliance entretiennent des liens durables, au-delà des médias sociaux, avec des personnages connus de l’extrême droite québécoise.
Un moment donné, comme le veut l’expression, si ça marche comme un canard et que ça dit de la marde comme un canard… À ce stade, il faut être niais ou volontairement borné pour continuer de croire leurs simagrées quant à leur positionnement idéologique.
Rappelons d’ailleurs à celles et ceux qui s’outragent de l’opposition antifasciste à Nouvelle Alliance que ce sont les militants du groupuscule eux-mêmes qui, en apportant « la lutte dans la rue », disent vouloir « être plus combative dans leur approche ».
Comment ne pas voir dans cette posture une invitation à danser? Signalons aussi, pourquoi pas, que TOUT dans la démarche militante de Nouvelle Alliance, des codes esthétiques aux méthodes choisies, en passant par l’utilisation des médias sociaux et les actions de visibilité, rappelle les frasques du tristement célèbre gang néofasciste Atalante Québec, qui lui-même s’inspirait de ses consorts européens. Il faudrait être extraordinairement crédule pour voir dans ces parallèles une coïncidence!
Depuis les années 1980, le milieu antifasciste montréalais et québécois n’a jamais reculé devant les provocations de ce type. Fidèles à cet héritage, nous ne sommes pas à la veille d’abandonner la rue à une bande de fils-à-papa y portant un énième projet d’extrême droite sous une nouvelle bannière. Et ce, quels que soient leurs efforts pour brouiller les signaux et duper les naïfs.
Constatant que la glorieuse rentrée escomptée n’était pas au rendez-vous, le président de Nouvelle Alliance, François Gervais, a passé sa frustration en accusant sur la plateforme X (ex-Twitter) l’Association facultaire des étudiant.es en sciences humaines de l’UQAM (AFESH) de participer à la contre-campagne d’information visant NA. Accusation fantaisiste, inspirée par les Mathieu Bock-Coté de ce monde : quand ça ne va pas bien dans ta vie, accuse l’UQAM! Cela pourrait prêter à sourire si la fake news n’avait pas été reprise par Laurence Massey, vice-présidente des jeunes péquistes, qui a du coup jugé nécessaire de préciser qu’elle n’est pas raciste.
Nous constatons pourtant une porosité du mouvement souverainiste vis-à-vis de NA, des associations péquistes locales qui acceptent ses membres dans leurs rangs en passant par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui avait annoncé publiquement que NA ne serait pas la bienvenue dans sa manifestation du Jour des Patriotes, mais qui concrètement ne les a pas empêché de marcher à leurs côtés le jour venu. Cette porosité est une preuve que la stratégie entriste de NA pourrait très bien fonctionner si rien n’est fait pour leur barrer le chemin, ce qui devrait être un wake up call pour le milieu souverainiste. Alors que l’idée de la souveraineté du Québec a le vent dans les voiles et qu’un nouveau référendum sur l’indépendance semble se profiler à l’horizon, nous vous posons une simple question :
Voulez-vous construire un pays pour tout le monde? Et si la réponse est oui, tabarnak, pourquoi tolérez-vous Nouvelle Alliance dans vos rangs?
Le mouvement antifasciste québécois est multiple et plusieurs opinions politiques s’y croisent. Concernant le projet indépendantiste, cela peut aller d’une sympathie affichée jusqu’à l’indifférence totale à l’égard ce projet politique. D’autres y sont plutôt hostiles, pour diverses raisons généralement ancrées dans un cadre d’analyse antinationaliste. Cependant, nous estimons que celleux qui portent des projets politiques indépendantistes progressistes et multiculturels, construisant une identité québécoise multiple, ouverte sur le monde et riche de ses différences, ne sont pas et ne seront jamais nos ennemis. Il en va tout autrement d’un projet politique identitaire fondé sur un seul et unique groupe ethnique, lui-même construit sur la base d’un imaginaire nationaliste excluant les apports de l’autre et ne tenant pas compte (sinon de manière symbolique) des richesses culturelles et sociales ainsi que des modes de connaissance et d’organisation politique des Premières Nations, soit les principales victimes de l’entreprise colonialiste continue dans les Amériques.
Nous invitons donc les souverainistes de bon aloi à prendre clairement position vis-à-vis de Nouvelle Alliance, en suivant l’heureux exemple du poète-slameur indépendantiste Zéphyr Bielinski, ci-dessous.
La balle est dans votre camp.