(Ce texte a été produit au printemps 2025 pour le journal Coup de grâce de la Convergence des luttes anticapitalistes.)

Depuis sa création, le collectif Montréal Antifasciste sonne l’alarme sur la montée en influence de l’extrême droite au Québec, que ce soit sous ses formes nationale-populistes ou néofascistes. Le collectif s’est principalement employé à combattre ce phénomène par la contre-information, la mobilisation populaire et l’autodéfense communautaire.

En 2025, exception faite de formations ultra-marginales confinant au fanatisme (Parti nationaliste chrétien), l’extrême droite ne dispose pas de véhicules politiques au Québec comme c’est le cas aux États-Unis, avec le mouvement MAGA (qui a piraté le Parti républicain), ou en France, avec le Rassemblement national et le parti Reconquête. De plus, hormis des projets ethnonationalistes comme celui de Nouvelle Alliance (dont l’objectif est de noyauter les partis indépendantistes), on ne reconnaît en ce moment aucune organisation d’extrême droite structurée comme il en existe ailleurs et comme on en a connu ici même dans le passé.

On aurait pourtant tort de croire que l’extrême droite est absente du paysage politique et culturel au Québec. Au contraire, elle y a de profondes racines, qui n’ont jamais été éradiquées et qui menacent à tout moment de ressurgir.

Aujourd’hui, c’est principalement dans la lutte pour l’hégémonie culturelle que l’extrême droite se manifeste, notamment dans les espaces en lignes, podcasts, et autres médias sociaux, mais aussi dans les radios parlées dites « poubelles » et le commentariat de certains médias traditionnels. Par voie de conséquence, cette influence se fait de plus en plus sentir dans la politique institutionnelle, certains éléments de discours se retrouvant dans la bouche de politiciens opportunistes, comme François Legault (Coalition Avenir Québec), dont la formation exploite les anxiétés identitaires à l’approche du prochain cycle électoral, ou Pierre Saint-Paul Plamondon (Parti Québécois), qui rivalise agressivement avec ce dernier sur le même terrain en reprenant à son compte les obsessions d’idéologues patentés comme Mathieu Bock-Côté. Quant à Éric Duhaime (Parti conservateur du Québec), il garde le cap sur son projet de démantèlement des fonctions régaliennes et sociales de l’État (un peu sur le modèle du « Projet 2025 » aux États-Unis), mais toujours en exploitant les pulsions réactionnaires de sa base.

Le dénominateur commun de tous ces politiciens est ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’antiwokisme », qui n’est en réalité qu’un violent ressac culturel contre les mouvements antiracistes et féministes, les mesures d’équité, d’égalité et d’inclusion et, de manière générale, la gauche sociale et les valeurs progressistes. Quoi qu’on pense de la réalité de celleux qu’on désigne comme « woke », l’antiprogressisme est un signe indéniable de l’influence de l’extrême droite sur le paysage culturel et politique québécois. Et ce ressac a des effets bien concrets. On ne doute pas, par exemple, que les discours masculinistes qui pullulent depuis plusieurs années sur des plateformes comme TikTok sont en partie responsables de la remontée de l’intolérance à l’égard du féminisme et des minorités sexuelles et de genre.

Ainsi, la montée en influence de l’extrême droite s’opère de manière diffuse, ce qui présente des défis considérables au mouvement antifasciste qui, au-delà des modes de résistance éprouvés, doit s’adapter à ces nouvelles réalités. À notre avis, la principale voie de solution consiste à élargir le domaine de la lutte antifasciste au-delà de la gauche radicale pour constituer un véritable mouvement populaire, présent et actif dans toutes les sphères de la société. Nous proposons ici quelques pistes d’action pour progresser en ce sens :

  • Appeler un chat un chat : l’anti-progressisme ambiant, les discours de repli identitaire et la désignation de boucs émissaires (communautés migrantes, musulmanes, trans, etc.) sont autant de signes indéniables de la montée en influence de l’extrême droite, laquelle favorise par capillarité l’émergence de propositions plus violentes; toute prétention contraire relève aujourd’hui du gaslighting; il importe en revanche de rester précis·e et d’éviter les amalgames réducteurs, qui peuvent s’avérer contre-productifs;
  • S’informer : se donner les moyens intellectuels de reconnaître les discours et les influenceurs qui favorisent explicitement la résurgence de l’extrême droite, mais aussi les dogwhistle et les signes plus subtils; il existe une multitude de sources pour affiner nos connaissances aussi bien que nos réflexes antifascistes;
  • Arrêter de s’obstiner avec les fachos et les antiwokes : c’est une perte de temps complète et une dépense d’énergie qu’il vaut mieux investir dans la construction d’une résistance efficace; on ne débat pas avec le fascisme, on le combat;
  • Combattre la rhétorique de l’extrême droite et ceux qui la propagent: idéalement, par nos propres moyens et à nos propres conditions, mais qu’on le veuille ou non, il faut mener la guerre là où elle à lieu, et cela implique d’investir les espaces médiatiques et les formes de communication où se commerce l’influence culturelle et politique; bien sûr, inventons de nouveaux moyens s’il le faut;
  • Combattre la désinformation et la propagande post-factuelle: les mots ont un sens et le sens des mots est important; la confusion et la désagrégation du sens profitent systématiquement à l’extrême droite;
  • Faire preuve d’une vigilance accrue : tendre l’oreille aux discours et aux manifestations publiques, bien sûr, mais aussi (pour les plus motivé·es) infiltrer les espaces numériques où convergent plus secrètement les courants d’extrême droite (Telegram, Discord, TikTok, etc.) afin de cerner les tendances et identifier les acteurs·trices clés; mettre ces renseignements en commun avec les groupes antifascistes organisés, de manière à dresser des profils et bâtir des plans d’action stratégiques pour l’utilisation (ou non) de ces données;
  • Résister aux tentations nationalistes et libérales : le retour à l’ordre bourgeois et au statu quo colonial n’est pas une solution; en fait, le régime capitaliste/colonialiste/écocide favorise la montée en force de l’extrême droite et du fascisme lorsqu’il est en crise; il faut donc concevoir et promouvoir la lutte antifasciste comme un mouvement de fond contre l’extrême droite ET contre l’ordre capitaliste dominant qui facilite sa réémergence cyclique;
  • Renforcer l’esprit de communauté : notamment les capacités d’autodéfense, mais pas seulement; n’oublions jamais que l’entraide et la solidarité sont et seront toujours nos armes les plus puissantes contre l’ambition des oppresseurs;
  • Se mobiliser : multiplier les actions et les manifestations, voire les grèves et les blocages si/lorsque cela s’avère nécessaire; former des groupes antifascistes affinitaires; constituer des réseaux populaires de résistance antifasciste, sur une base locale et fédérative, en s’inspirant d’exemples historiques comme l’Anti-Racist Action, l’Action antifasciste ou d’autres modèles.
  • Ne pas perdre espoir.

¡ No pasarán!