Le 19 mai dernier, des manifestant-e-s anti-immigration se sont rendu-e-s à la frontière canado-américaine à l’appel de la Storm Alliance, l’un des principaux groupes d’extrême droite au Québec. Au cours des 18 derniers mois, en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, la frontière québécoise, et en particulier le passage irrégulier du chemin Roxham, près d’Hemmingford, est devenue un important point de passage pour les réfugié-e-s fuyant le régime Trump. L’une des conséquences de cet afflux est que l’extrême droite cherche à transformer ce drame humain en capital politique dont elle pourra tirer avantage. La manifestation du 19 mai marquait la troisième occasion où Storm Alliance et ses allié-e-s se sont mobilisé-e-s à la frontière, et la troisième fois que des antiracistes et antifascistes d’Hemmingford, de Montréal et d’Estrie se sont mobilisé-e-s pour leur bloquer le chemin.

Entre 100 et 200 personnes se sont déplacées de chaque côté le 19 mai. Comme ce fut le cas les deux fois précédentes, les forces antiracistes ont réussi à sécuriser le chemin Roxham, de manière à garantir que les personnes faisant la traversée ne soient pas confrontées à une foule de racistes dès leur arrivée au Canada. Tout au long de la journée, il y a eu des ateliers, des activités pour les enfants et une ambiance généralement festive et relaxe, avec la participation de résident-e-s de la région.

Étant donnée la forte présence antiraciste au chemin Roxham, Storm Alliance a une fois de plus changé ses plans et battu en retraite vers le poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle. Afin de constituer une opposition à cet endroit également, les forces antiracistes ont été forcées de se diviser en deux. Le poste de Saint-Bernard-de-Lacolle est un terrain beaucoup plus compliqué pour nous, en partie en raison de la forte présence policière et du caractère militarisé du poste frontalier, alors qu’il est clair que la police opère en faveur des forces d’extrême droite (lesquelles avaient demandé la permission de manifester là, et ont consciemment cultivé ce rapport amical avec la police au cours de la dernière année). La Sûreté du Québec a ainsi empêché les antiracistes de bloquer le convoi de Storm Alliance et ouvert la voix de manière à permettre à celle-ci de planter sa manifestation directement devant les baraques où sont logé-e-s les réfugié-e-s. Malgré le fait que l’objectif principal (le chemin Roxham) soit resté inaccessible aux militant-e-s d’extrême droite, celles et ceux d’entre nous qui ont essayé de les bloquer à Saint-Bernard-de-Lacolle sont reparti-e-s quelque peu découragé-e-s par la tournure des événements.

C’est dans ce contexte particulier des événements de la journée, au chemin Roxham et à Lacolle, que nous avons pris conscience d’un nouveau dégoûtant personnage cherchant à exploiter la situation à la frontière pour se faire du capital politique…

Faith Goldy, wannabe superstar d’extrême droite

Faith Julia Goldy-Bazos, mieux connue sous le diminutif Faith Goldy, se décrit elle-même comme une « nationaliste catholique pour le  Christ-Roi et la patrie ». Elle est l’une des personnalités Internet nationalistes blanches les plus connues au Canada.

Le 19 mai, elle a fait le voyage de Toronto à Lacolle et Hemmingford. Elle prétend s’y être rendue pour couvrir la présence antiraciste, peut-être pour faire la promotion de son propre événement, lequel était déjà prévu pour le 3 juin (nous y reviendrons ci-dessous). Elle s’est d’abord pointée au chemin Roxham, où elle a été refoulée sans difficulté par des antiracistes, après quoi elle semble avoir été informée par la police que la manifestation anti-immigration devait plutôt avoir lieu à Saint-Bernard-de-Lacolle (qui se trouve à 15 minutes de là). En se rendant au poste frontalier, elle est arrivée un peu trop tôt, et a plutôt été accueillie par les antifascistes qui s’étaient réuni-e-s à cet endroit dans l’espoir de bloquer Storm Alliance.

Goldy, en personnalité Internet toujours prête à promouvoir sa marque de commerce, a diffusé en direct cette rencontre houleuse. La vidéo, qui montre comment elle a été repoussée de la manifestation, est ensuite devenue virale dans les réseaux d’extrême droite, le récit fallacieux de la pauvre et « innocente » femme blanche de classe moyenne, journaliste de surcroît, étant « attaquée » par des antifascistes (de différents genres, soit dit en passant) trouvant une forte résonance dans les milieux anti-immigration et d’extrême droite.

Tout ce bordel nous menant à la réflexion… mais qui est donc cette crapule? D’où vient-elle, politiquement? À qui est-elle associée? Quelles sont ses intentions?

Mais qui est cette ordure?

À partir de 2015, Goldy a gagné en notoriété en animant la série de reportages On the Hunt With Faith Goldy sur Rebel Media, le site d’extrême droite sioniste d’Ezra Levant. Ses reportages avaient généralement pour accroches des thèmes comme, « Alors que les migrants violent d’un bout à l’autre du continent, où sont les hommes européens? » (29 janvier 2016), ou « Trudeau collabore avec Soros sur le complot réfugié » (15 décembre, 2016). Goldy a fait la promotion de diverses théories du complot sur le massacre de la mosquée de Québec en janvier 2017, et elle a continué à répandre la désinformation longtemps après que ces rumeurs farfelues aient été réfutées par les médias traditionnels. Plus tard la même année, elle a accompagné Gavin McInnes, le fondateur des Proud Boys (et son collègue chez Rebel Media à l’époque) en Cisjordanie, où elle a invoqué une « croisade » pour « récupérer » Bethlehem, tweetant des selfies d’elle-même en posant avec une veste « deus vult » arborant l’écusson des croisés et la légende « in hoc signo vinces » (« par ce signe, tu vaincras »).

Un catalogue complet des grossièretés racistes, islamophobes et sexistes de Goldy demanderait un estomac plus solide que le nôtre (vous pouvez tout de même voir d’autres exemples ici). Au fil du temps, Goldy s’est mise à exprimer de plus en plus franchement ses idées, prônant des points de vue parfois trop odieux même pour ses ami-e-s racistes, comme son patron Ezra Levant. Même si Rebel Media a accepté qu’elle consacre une émission au « génocide blanc » en juin 2017, les choses se sont envenimées en août lorsque Goldy s’est rendue à Charlottesville, Virginie, pour couvrir les manifestations racistes et les contre-manifs antifascistes en tant que « journaliste » enchâssée dans le camp d’extrême droite. Comme l’a rapporté le Winnipeg Free Press dans la foulée des affrontements, « au cours de son reportage, Goldy a soutenu que les événements de Charlottesville étaient la preuve d’une “conscience raciale blanche grandissante” qui allait changer le contexte politique aux États-Unis. » Elle a également fait de grands efforts pour saluer le “manifeste métapolitique” en 20 points composé par le leader nationaliste blanc Richard Spencer, un document comprenant des appels à organiser les États-Unis selon des divisions ethniques et raciales et célébrant la supériorité de “l’Amérique blanche”. Goldy décrit le manifeste de Spencer comme “robuste” et “réfléchi”. »

C’est le ressac contre son entrevue sympathique avec Robert « Azzmador » Ray du site néonazi Daily Stormer à Charlottesville – au cours de laquelle les deux s’entendent comme cul et chemise, dans ce que l’on peut décrire comme un exercice d’admiration mutuelle – qui a finalement entraîné son congédiement de Rebel Media. À un moment dans l’entrevue, Ray (qui a par ailleurs été filmé en scandant « gazons les Juifs » tout au long du week-end) pose à Goldy quelques questions innocentes sur le judaïsme de son employeur :

Azzmador : Je n’ai qu’une question pour toi, et mes abonné-e-s ne me pardonneraient jamais si j’évitais de te la poser…

Faith Goldy : Je l’attends avec impatience, chéri.

Azzmador : OK, c’est une question facile.

Goldy : Oui.

Azzmador : As-tu déjà vu Ezra Levant mélanger viande et produits laitiers?

Goldy : [rit] Je vais vous dire que si – et il serait d’accord avec ça – si vous lui offrez du bacon gratuit – c’est du bacon gratuit, après tout…

 Rires.

Goldy : Non, je crois qu’il est casher, mais je ne sais pas. Mais je peux vous dire qu’Ezra Levant connaît mes positions sur maintes choses, et qu’il m’a offert une liberté extraordinaire.

Elle a été congédiée peu après cette entrevue.

Depuis sa séparation d’avec Rebel Media, Goldy essaie de faire carrière en tant que personnalité Internet « nationaliste blanche », une carrière qui consiste essentiellement à se mettre en réseau avec d’autres personnages Internet d’extrême droite et à participer occasionnellement à leurs programmes YouTube. Lors d’une entrevue qu’elle a donnée à Colin Robertson (Millennial Woes) en décembre 2017, Goldy a  récité le slogan néonazi des « 14 mots » (« Nous devons garantir l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs »), en indiquant qu’elle ne croyait pas que ce sentiment devrait être perçu comme controversé. À l’émission néonazie Red Ice, comme l’a détaillé le blog AWM, elle a affirmé que le mot « raciste » est un terme oppressif utilisé contre les blancs et que les Canadiens blancs sont victimes d’oppression systémique, tout en défendant encore une fois son utilisation des « 14 mots ». Dans une entrevue qu’elle a accordée cette année à Ayla Stewart, une autre bloggeuse YouTube, Goldy a recommandé la lecture du livre For My Legionaries de Corneliu Codreanu. Codreanu est le leader de la Garde de Fer roumaine, un mouvement fasciste tout aussi brutal et antisémite que celui des nazis allemands. (Lorsqu’on lui a fait remarquer que For My Legionaries contient des appels à éliminer « la menace juive », Goldy a timidement fait marche arrière en tweetant : « On m’a signalé qu’il y a un passage dérangeant plus tard dans ce livre, et je tiens à préciser que je n’endosse pas ce passage en particulier. » Elle partage régulièrement des articles de médias sociaux d’extrême droite européens tels que Red Ice et Generation Identity, ainsi que ses propres vidéos sur le thème récurrent des personnes blanches devenant une minorité menacée de génocide partout dans le monde.

Au Canada, Goldy a continué à travailler avec d’autres segments de l’extrême droite. Au début de mars, elle s’est filmée en train de perturber une présentation antiraciste de Michael Capello, à l’Université Trent, intitulée « Il est correct d’être contre la blanchité ». Plus récemment, Goldy a participé à la minuscule manifestation contre White Privilege Conference Global (WPC Global), tenue à l’Université Ryerson de Toronto, où elle a côtoyé des membres des Sons of Odin, des Soldiers of Odin et d’autres groupes semblables. À cette occasion, elle a été interviewée par le suprémaciste blanc Ronny Cameron, à qui elle a expliqué pourquoi elle favorise le racisme ou, comme elle le dit, « la préférence du groupe », qui est pour elle « un fait psychologique et sociologique naturel. On le voit chez les oiseaux, on le voit chez les humains. Les Européen-nes, à cause des Lumières et de la pensée cancéreuse qui en a découlé, s’en sont vus privé-e-s, et ils sont devenu-e-s des proies… »

Le 20 mars dernier, la Society for Open Inquiry de Lindsay Shepherd, à l’Université Laurier (l’un de nombreux clubs universitaires qui encouragent une forme d’organisation raciste et transphobe sous prétexte de « liberté d’expression ») a tenté d’organiser une conférence avec Goldy. Quelqu’un a eu l’excellente idée de sonner (littéralement) l’alarme d’incendie. Un mois plus tard, le 30 avril, le même groupe tentait d’organiser une autre conférence avec Goldy – cette fois avec Ricardo Duchesne, un professeur de sociologie de l’Université du Nouveau-Brunswick qui est peut-être l’intellectuel nationaliste blanc le plus important au Canada aujourd’hui – à l’Université de Waterloo. Cet événement a cependant été annulé lorsque l’université a voulu faire payer plus de 28 000 $ aux organisateurs pour en assurer la sécurité. Ainsi, Goldy a plutôt passé le 30 avril au chemin Roxham, à Hemmingford, Québec, où elle a tweeté une série de photos de réfugié-e-s traversant la frontière, ainsi qu’une vidéo en direct dénonçant l’arrivée de tant de gens. « Peut-être devrions-nous nous occuper des nôtres avant de devenir un refuge pour femmes battues et un pensionnat pour le monde entier », a-t-elle dit. (Stay classy, hein Faith?)

Suite à sa visite à la frontière le 30 avril, Goldy a annoncé qu’elle organiserait des autobus pour transporter des manifestant-e-s au chemin Roxham le 3 juin. Comme la page de l’événement Facebook du rassemblement l’explique :

LE CANADA FAIT FACE À UNE INVASION D’IMMIGRANT-E-S ILLÉGAUX-ALES!

Depuis que le premier ministre Trudeau a tweeté au monde #WelcomeToCanada, plus de 50 000 illégaux sont arrivés au Canada.

De ceux qui sont entrés illégalement, plus de 20 000 l’ont fait à pied par la frontière Sud du Canada, qui a été essentiellement effacée sans mandat démocratique.

IL Y A UNE SOLUTION SIMPLE : RENDRE LA FRONTIÈRE ENTIÈRE UN POINT D’ENTRÉE OFFICIEL.

Grâce à cela, les agents de la GRC seraient déchargés de leurs fonctions de portier et l’ASFC pourrait se mettre au travail pour refouler les migrants illégaux.

Goldy est retournée à la frontière le 19 mai, avec les résultats hilarants que nous avons décrits ci-dessus. La vidéo documentant comment elle s’est fait cracher dessus et taper son téléphone a toutefois donné beaucoup d’attention à ses plans pour le 3 juin, y compris au sein de l’extrême droite locale (qui pour la majeure partie, ignorait tout de l’existence de Goldy jusque-là).

Goldy a appelé sa manifestation au chemin Roxham sans même consulter les racistes québécois-e-s qui avaient eux-mêmes organisé des manifestations semblables dans la région d’Hemmingford/Lacolle à quelques reprises depuis le début de 2017. Malgré cela, des membres de l’extrême droite du Québec ont communiqué avec elle en ligne, indiquant qu’ils seraient disposés à travailler avec elle et à coordonner un autobus de Montréal. Cela comprend ceux qui étaient responsables de la sécurité de la manif de Storm Alliance lors du rassemblement du 19 mai au poste frontalier de Lacolle, dont Sylvain Lacroix (anciennement du Front patriotique du Québec (FPQ), qui a quitté ce groupe après une séparation houleuse avec Marie-Élaine Boucher). En même temps, Maxime Morin et Guillaume Beauchamp, de la chaîne YouTube d’extrême droite DMS, ont sorti une vidéo ciblant plusieurs individus de la gauche montréalaise en prétendant qu’ils et elles étaient impliqués dans « l’attaque » contre Goldy. Goldy a en retour fait la promotion de cette vidéo, ce qui n’est pas étonnant, même si l’admiration de DMS pour des néonazis notoires, et la participation de Maxime Morin au forum de discussion néonazi « Montreal Storm » sont bien documentées.

Goldy est considérablement plus explicite dans son racisme et ses affinités néonazies que le sont la plupart des porte-parole de Storm Alliance ou du FPQ. Cependant, au cours de la dernière année, nous avons été témoins d’une incroyable ouverture, voire d’un véritable enthousiasme, de la part de militant-e-s anti-immigration au Québec, à collaborer avec des éléments fascistes et néonazis. Des racistes impénitents, des fascistes et des néonazis ont manifesté à plusieurs reprises (par exemple, le 30 septembre, le 25 novembre 2017,etc.) aux côtés de Storm Alliance, malgré l’insistance de ces derniers à nier qu’ils sont racistes. À cet égard, une alliance avec quelqu’un comme Goldy est certainement possible.

Tout comme Storm Alliance, Goldy exploite la situation à Roxham Road pour pousser son discours « nationaliste catholique » et un programme suprémaciste blanc. Des milliers de personnes traversent la frontière irrégulièrement à Roxham, mais cela ne les rend pas pour autant « illégales ». Comme l’a souligné l’Association du Barreau du Québec, « immigrant illégal » n’est pas une catégorie juridique au Canada. Il existe deux principales raisons à ces migrations, qui font des manchettes sensationnelles et donnent à l’extrême droite l’occasion de vendre son discours toxique. La première raison est que l’administration Trump abolit actuellement les protections juridiques qui ont permis aux personnes fuyant des situations dangereuses de vivre aux États-Unis depuis des années. La deuxième raison est l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui oblige les personnes souhaitant obtenir le statut de réfugié-e ici à traverser de façon irrégulière plutôt qu’aux passages frontaliers officiels.

Appeler ces individus des « immigrant-e-s illégaux-ales » est un truc verbal pour suggérer que les réfugié-e-s ont fait quelque chose de mal, ou qu’illes sont des criminel-le-s. Ce ne sont pas les migrant-e-s entrant au Canada qui provoquent la crise, mais plutôt les politiques racistes des gouvernements des deux côtés de la frontière, ainsi que les discours et actions de militant-e-s d’extrême droite comme Faith Goldy et Storm Alliance, qui cherchent à précariser et insécuriser davantage la vie de ces personnes.