Une importante action de défense populaire a eu lieu à Montréal le 21 octobre 2023 dans le but de faire barrage à un mouvement réactionnaire d’opposition à l’éducation sexuelle tenant compte de l’inclusion et de la diversité dans les écoles publiques québécoises et canadiennes.
Le pôle de leadership local de ce mouvement, le groupe Ensemble pour protéger nos enfants (EPPNE), principalement composé de parents musulmans aux valeurs conservatrices, s’inscrit en marge du réseau national « 1 Million March 4 Children » (1MM4C). Cette coalition décentralisée, partiellement issue des milieux complotistes, est adjacente à certains courants d’extrême droite et compte un grand nombre de participant·es plus ou moins ouvertement transphobes, queerphobes et homophobes. Après une première manifestation réussie au centre-ville le 20 septembre dernier, EPPNE/1MM4C avait cette fois-ci prévu un rassemblement devant le ministère de l’Éducation du Québec (600 rue Fullum), dans le quartier Centre-Sud, suivi d’une marche, possiblement dans le Village, un secteur où les communautés LGBTQ+ de Montréal se sont historiquement concentrées.
L’action de défense LGBTQ+, soutenue par la communauté antifasciste et un nombre considérable d’organisations alliées, est parvenue à mettre en déroute et à éclipser la manifestation réactionnaire. Nous avons par ailleurs reconnu dans le camp opposé, aux côtés des organisateurs·trices musulman·es, des personnages liés aux formations islamophobes que Montréal Antifasciste a cartographiées au cours des dernières années, telles que La Meute et la Vague bleue.
Voici un rapport détaillé de cette action de défense populaire. (Lire aussi le bilan du P!nk Bloc, ici.)
Avertissement : Cet article contient des éléments de contenus homophobes, transphobes, antisémites et islamophobes.
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Le présent article/bilan n’est d’aucune manière une attaque contre les communautés musulmanes du Québec, ni contre la foi musulmane. Les segments les plus conservateurs de ces communautés n’en représentent d’ailleurs pas l’ensemble, et il est important de rappeler que ces communautés, comme toutes les communautés, sont plurielles, diverses et parfois traversées de contradictions. Il existe de nombreuses organisations progressistes, et il va sans dire, un grand nombre de personnes de la diversité sexuelle et de genre dans ces mêmes communautés.
Le collectif Montréal Antifasciste profite de l’occasion pour réitérer sa solidarité avec les communautés musulmanes visées par la haine et la discrimination au Québec, et par des lois discriminatoires les privant de certains droits fondamentaux sous le prétexte d’une laïcité tronquée et dévoyée.
Cela étant dit, nous ne pouvons tolérer que d’autres communautés dont nous sommes solidaires, soit les communautés LGBTQ+, et spécifiquement les jeunes personnes queers et trans, soient à leur tour diabolisées, ciblées par la discrimination et privées de droits fondamentaux.
Mise en contexte
Depuis plusieurs années, les mouvements ultraconservateurs nord-américains mènent diverses offensives pour faire reculer les droits des femmes et des minorités sexuelles et de genre. En s’associant au mouvement MAGA et en s’infiltrant à différents paliers de gouvernement aux États-Unis, par exemple[1], les courants réactionnaires ont réussi dans les dernières années à faire modifier des législations afin de limiter l’accès à l’avortement, voire de le rendre illégal, et de priver certaines minorités de droits acquis.
Ce ressac puritain coïncide avec la recrudescence des courants dits « conspirationnistes », qui ont quant à eux réussi à faire percoler assez largement dans la société nord-américaine un certain nombre d’obsessions paranoïaques déconnectées de la réalité, dont la « grooming panic », l’idée voulant que des forces plus ou moins occultes — mais en particulier les minorités sexuelles et de genre — visent à « sexualiser » les personnes mineures dans le but de les exploiter (et de corrompre les mœurs de la société tout entière pour éventuellement anéantir la civilisation occidentale!). C’est dans ce cadre conspirationniste, par exemple, que se sont inscrites les différentes manifestations contre les heures du conte en drag organisées récemment au Québec et ailleurs au Canada.
Au cours des derniers mois, certains segments moralement conservateurs des communautés musulmanes canadiennes se sont joints à ce mouvement en prenant précisément pour cible les programmes d’éducation sexuelle intégrés aux curriculums des systèmes d’éducation publics, lesquels sont jugés trop progressistes par les plus modéré·es, et comme un signe patent du fameux complot « pédosataniste » par les plus déjanté·es. Le raisonnement de base de ce mouvement est que l’éducation sexuelle inclusive de la diversité participe d’une stratégie délibérée pour miner le « droit parental » et « sexualiser » les enfants, rejoignant en cela ce thème récurrent commun aux fantasmes de complot contemporains et aux mouvements d’extrême droite.
Il s’agit essentiellement d’une position morale contre la diversité et l’inclusion, et favorable à l’obscurantisme en matière de diversité sexuelle et de genre. En dernière analyse, nous croyons que ce mouvement sert à (re)diaboliser les minorités concernées, à les (re)marginaliser et, à terme, à les priver des libertés et de la sécurité relative qu’elles ont chèrement acquises au fil des décennies. Plus grave encore, elle sert à priver les jeunes d’une éducation essentielle dont il est démontré qu’elle sauve des vies et qu’elle contribue à la santé et au bien-être d’un grand nombre de jeunes personnes.
Le réseau « 1 Million March for Children » (1MM4C), qui s’est constitué au courant de l’année 2023, fédère ainsi une grande diversité de participant·es, allant des opposant·es lambda aux mesures sanitaires (anti-vaxx) associé·es au soi-disant « convoi de la liberté », jusqu’aux parents musulmans inquiets pour l’intégrité morale de leurs enfants, en passant par une multitude d’habitué·es des réseaux complotistes et d’individus non affiliés ayant été aspirés dans la spirale de désinformation qui se trouve au cœur de ce mouvement de panique morale.
Le 20 septembre 2023
Le 20 septembre 2023, une série de manifestations 1MM4C a été coordonnée dans plusieurs villes canadiennes, ostensiblement pour s’opposer aux programmes d’éducation sexuelle dans les écoles publiques (ce que les opposant·es appellent SOGI, d’après un programme de ce nom implanté en Colombie-Britannique). À Montréal, le rassemblement avait été convoqué à 9 h devant le bureau du premier ministre du Québec, sur la rue McGill College, dans l’optique d’entamer une marche dans les rues du centre-ville vers 11 h.
En réponse, une contre-manifestation a été organisée par des défenseur·es des droits des personnes queers et trans. Entre 9 h et 11 h, les contre-manifestant·es étaient clairement en surnombre, ce qui a prématurément nourri l’impression d’une victoire décisive. Mais peu à peu, à partir de 10 h 30, plusieurs vagues successives ont grossi les rangs du rassemblement réactionnaire, les manifestant·es arrivant par métro, mais aussi par autobus nolisés. Vers 11 h 30, les deux côtés étaient en nombres à peu près équivalents, avec entre les deux camps un no man’s land gardé par le SPVM.
Deux douzaines de contre-manifestant·es qui avaient contourné le périmètre se sont retrouvé·es en situation minoritaire parmi les réactionnaires, et pendant une bonne heure la situation est restée extrêmement tendue. Plusieurs escarmouches mineures ont eu lieu, un groupe de personnes musulmanes LGBTQ+ a été invectivé par des manifestants réactionnaires, et des enfants menés sur place par ces derniers ont crié des insultes homophobes aux contre-manifestant·es. (Il est à ce propos légitime de s’interroger sérieusement sur l’instrumentalisation des enfants dans un contexte aussi volatile…) Il y avait aussi parmi la foule réactionnaire, pour l’essentiel constituée de parents musulmans, quelques personnages de type « libârté kémion » qui cherchaient visiblement la confrontation, dont un certain « Ryan Freedom » qui a passé sa journée à scander des insultes homophobes. D’autres figures connues s’y trouvaient également, dont le leader complotiste François Amalega Bitondo et Jean-Léon Laffitte, de l’Association des parents catholiques du Québec, principalement connu pour sa croisade anti-choix.
Le constat au lendemain de cette manifestation, du côté de la défense LGBTQ+, en a été un d’échec. N’ayant que très peu porté attention à la croissance du mouvement réactionnaire au sein de communautés que nous n’identifions pas comme source de menaces, nous avions gravement sous-estimé la capacité de mobilisation de l’autre camp. Ce qui fait que malgré une mobilisation considérable des groupes queers et trans, notamment au sein de la communauté universitaire de McGill, l’autre camp a réussi à mobiliser autant, sinon plus de personnes, à booster sa confiance et, en bon français, à se « mettre sur la mappe ».
Nous n’allions pas laisser un tel échec se reproduire…
La préparation en vue du 21 octobre
— L’effondrement de l’organisation anti-trans
Au fil des mois, le réseau national 1MM4C n’a pas échappé au phénomène de dissensions internes, de luttes de pouvoir et de fragmentation qui mine très souvent les mouvements réactionnaires et d’extrême droite. Déjà en septembre dernier, à l’approche de la première manifestation nationale, une première ligne de faille s’était élargie entre l’organisatrice Dana Metcalfe et le président autoproclamé du mouvement, Kamel El-Cheikh, apparemment sur la question de l’inclusion des personnes « LGB » dans le mouvement « anti-QT+ ». Suite au 20 septembre, d’autres tensions sont apparues entre les différents pôles de leadership et d’organisation, notamment après que des images d’enfants piétinant le drapeau de la fierté et invectivant des personnes LGBTQ+ eurent circulé sur les médias sociaux, ainsi que la vidéo d’un enfant traitant les gays de « psychopathes […] dégoûtants » aux côtés de Mahmoud Mourra, un leader du mouvement 1MM4C à Calgary lui-même accusé de harcèlement criminel anti-LGBTQ+. Là encore, on observe au sein de ce mouvement une tendance inquiétante à l’instrumentalisation des enfants.
Dans la semaine précédant la manifestation du 21 octobre, un certain nombre de nouvelles tensions sont apparues au sein de l’organisation. Il est utile de citer à ce propos la mise au point qu’a publiée Montréal Antifasciste à la veille de la manifestation :
- Un pôle de leadership est situé en Ontario, autour de Kamel El-Cheikh et Bahira Abdulsalam. Il y a eu un schisme récemment entre les deux, qui présentent tous deux une tendance prononcée à la mégalomanie (El-Cheikh se décrit lui-même comme « un visionnaire », et Abdulsalam est une aspirante politicienne qui a la prétention de coordonner toutes les mobilisations 1MM4C à l’échelle du pays à partir de son téléphone).
- L’organisation « Hands Off Our Kids » (HOOK) est « présidée » par Kamel El-Cheikh; le 18 octobre, [celui-ci] a annoncé unilatéralement qu’il « annulait » toutes les mobilisations du 21 octobre en raison de la situation au Proche-Orient. En réaction, les administrateurs de la page Facebook 1MM4C (le pôle de leadership de Calgary) ont annoncé qu’ils allaient de l’avant avec la mobilisation et que HOOK « ne représentait pas tous les parents ».
- Suite au schisme, Bahira Abdulsalam a créé sa propre organisation, « Leave Kids Alone » (LKA); en date du 20 octobre, suite au désistement de Kamel El-Cheikh et de HOOK pour le 21 octobre, la manifestation « 1MM4C » de Montréal [était] appelée sous la bannière de LKA, donc sous la coordination téléguidée de Bahira Abdulsalam.
- Un autre pôle de leadership est situé à Calgary, autour de Mahmoud Mourra et son groupe, « YYC Muslims » sur Facebook, notamment administré par Rouba Ismail. (Ce groupe a semé la confusion à moins d’une semaine de l’événement en faisant circuler un poster erroné indiquant que la manif 1MM4C de Montréal aurait lieu au bureau de François Legault sur McGill College. Cette situation a été corrigée plus tard, le poster étant supprimé.)
Il importe de mentionner ici que le leadership constitué autour de Mohamed Mourra et YYC Muslims est clairement la branche du mouvement la plus susceptible aux fantasmes de complot et aux délires conspirationnistes, homophobes et transphobes, parfois aussi antisémites, comme en fait foi de nombreuses publications et commentaires aperçus sur les pages Facebook YYC Muslims et 1Million March for Children (voir les captures d’écran ci-dessous). Il faut aussi noter que l’association avec l’extrême droite, les milieux complotistes ou même les cercles ouvertement conservateurs n’est pas du tout typique des communautés musulmanes au Canada, ce qui pourrait en partie expliquer certaines divisions observées au sein de l’organisation nationale et locale.
En plus des bafouillages publics au sein de l’organisation nationale, il s’est avéré que le pôle de leadership de Montréal, formé autour du groupe « Ensemble pour protéger nos enfants » (EPPNE), ne se coordonnait pas avec le leadership national de 1MM4C, possiblement pour les raisons évoquées ci-dessus. En effet, dans la semaine précédant immédiatement la manifestation du 21 octobre, le leadership d’EPPNE a voulu se dissocier explicitement du réseau 1MM4C/HOOK en publiant sur sa page une « déclaration » affirmant que le groupe n’avait aucune hostilité à l’égard des communautés queers et trans. Il est toutefois permis de douter de la sincérité de ce sentiment, puisque la déclaration initiale a vite été modifiée pour en supprimer les noms des groupes dont EPPNE se dissociait… Et c’est sans rien dire du fait que les admins de la page y relaient également des publications explicitement homophobes et des vidéos à caractère transphobe.
À ce propos, nous croyons nécessaire de formuler quelques nuances. Bien qu’il soit très difficile de discerner la proportion de ces manifestant·es qui ne souhaitent rien de plus que d’assumer l’éducation sexuelle de leurs enfants à la maison pour des raisons culturelles ou religieuses ne relevant pas d’une hostilité fondamentale à l’égard de l’inclusion LGBTQ+, on peut facilement trouver une quantité alarmante de contenu transphobe, queerphobe et conspirationniste dans les pages d’organisation de ces événements. Cela suffit à nous convaincre de la nécessité d’y faire barrage. Si les organisateurs·trices sont sincères dans leur volonté de se dissocier des mouvements homophobes/transphobes, iels devront faire mieux que des pétitions de principe qui sont immédiatement annulées par leurs propres agissements.
Au sujet d’EPPNE, pour citer la même publication de MAF :
- Le groupe « Ensemble pour protéger nos enfants » (EPPNE) fonctionne de manière indépendante de HOOK, LKA et du reste du réseau 1MM4C. (…)
- EPPNE a organisé deux autres (petites) manifestations à Montréal au cours de l’été 2023 sur le même thème, en plus de la grande manifestation du 20 septembre; une en juillet, au square Philips et une autre en août, en marge du 600 rue Fullum (ministère de l’Éducation).
- À ce stade-ci, il est clair que l’organisation d’EPPNE est plus cohésive que celle de la « branche montréalaise » de 1MM4C.
- EPPNE est sous la direction de Hanan Masuod, comptable, résidente de l’Île des Sœurs, et l’organisation a été enregistrée au registre des entreprises du Québec le 6 octobre dernier. Les autres administrateurs listés sont : Mohamed Yous (Laval), Tarik Dikni (Saint-Hubert) et Abdulhakim Alqershi (Montréal). Mohamed Yous a été identifié comme l’un des principaux coordonnateurs sur le terrain le 20 septembre.
- EPPNE dispose d’un groupe WhatsApp autonome comptant plus de 1 000 abonné·es; il semble que cette chaîne soit leur principal canal d’organisation. Il y [avait] six admins de ce groupe : dont Hanan Masuod, Mohamed Yous, Tarik Dikni (…) et une 6e personne dont le numéro est attaché à l’administration scolaire de l’école coranique Nour Al-Eman de Côte-Saint-Luc. [Note: la liste d’admins a un peu changé depuis, mais les principaux y sont encore.]
- Selon les renseignements dont nous [disposions], la mobilisation pour le 21 octobre *ne semble pas se faire par l’entremise d’imams et de mosquées*, mais par bouche-à-oreille dans les réseaux informels constitués au courant de l’été, notamment dans les réseaux communautaires. (La mosquée Al-Ansar de Laval avait relayé l’appel pour le 20 septembre...) On déduit de cette absence qu’aucune mosquée ne désire s’associer à ce mouvement réactionnaire, du moins pas publiquement.
Pour empirer encore les choses, dans les jours précédant la manifestation, Bahira Abdulsalam a arbitrairement désigné un nouvel organisateur Montréalais sur le groupe WhatsApp « Montreal 1MillionMarch4Children » (qui comptait à ce moment-là près de 700 abonné·es ), un certain Kevin Delli Colli Ouazana, pour l’en retirer tout aussi arbitrairement quelque 48 h plus tard, à moins de 24 h de l’événement! Elle a ensuite ajouté Hanan Masuod au groupe en annonçant que les deux flux d’organisation se joignaient désormais et en invitant cette dernière à relayer les détails de l’événement… ce qu’elle n’a jamais fait!
(Note : Nous avons choisi aux fins de cet article de ne pas communiquer les coordonnées personnelles des personnes impliquées dans ces organisations. Pour différentes raisons évoquées ici, nous ne considérons pas ces personnes comme des ennemis à combattre par tous les moyens nécessaires, mais bien comme des adversaires qu’il faut amener à remettre en question leurs positions et leurs moyens d’action.)
— Renforcement de la défense populaire
Il en est allé tout autrement du côté de la défense LGBTQ+. Dans le mois entre le 20 septembre et le 21 octobre, le réseau « Drag Defense » de Montréal, entre autres formé autour des collectifs Pink Bloc Montréal et Montréal Antifasciste, s’est activé plus que jamais. Ce réseau informel de défense populaire s’était constitué au printemps 2023 en réaction à une série d’événements anti-LGBTQ+ dans la région de Montréal et ailleurs au Québec, dont la visite de la députée allemande Christine Anderson (24 février), des manifestations contre la lecture du conte en drag à Sainte-Catherine (2 avril), Mercier-Est (16 mai), Jonquière (26 mai) et Sainte-Thérèse (17 août), et une autre manifestation à Québec (9 septembre) contre une exposition sur la diversité de genre au Musée de la civilisation de Québec.
Au lendemain de la manifestation du 20 septembre, une série de rencontres de planification ont été organisées avec les groupes et alliés du réseau de défense, avec pour priorité la construction d’une coalition en vue des prochaines mobilisations. Lorsque la date et le lieu de la prochaine manifestation transphobe à Montréal ont été annoncés, un appel public a été lancé ainsi qu’une invitation large à endosser cet appel, laquelle a recueilli une cinquantaine d’appuis. Parallèlement, des appels ont été lancés aux groupes alliés à organiser des contingents et/ou à s’intégrer dans l’organisation d’une manière ou d’une autre, et bien entendu, à participer activement à la mobilisation pour le 21 octobre.
Plusieurs sorties de tractage et d’affichage ont été organisées de manière autonome ou coordonnée par des groupes alliés au cours des semaines précédant l’événement, dans les quartiers immédiatement concernés (Centre-Sud et Village), mais aussi ailleurs en ville. La promotion de la contre-manifestation a pris énormément de visibilité sur les médias sociaux, à la faveur des nombreux appuis qui s’additionnaient, dont ceux d’organisations syndicales et communautaires d’importance.
Chronologie de la journée
Il convient de saluer d’emblée la prévoyance et la vaillance des camarades qui sont arrivé·es sur place suffisamment tôt (avant 8 h) pour occuper l’emplacement stratégique devant le 600 rue Fullum avant que les opposant·es n’y arrivent elleux-mêmes (vers 8 h 20). Ce déploiement a poussé le SPVM à établir immédiatement une zone tampon entre les deux groupes et forcé les premier·ères arrivé·es parmi les opposant·es, dont Hanan Masuod et Mohamed Yous, à se regrouper — à la pluie battante — sur l’espace vert entre l’édifice et la piste cyclable longeant la rue Notre-Dame au sud.
Les opposant·es sont resté·es très peu nombreux·euses (entre cinq et dix personnes) pendant au moins une heure (pour atteindre un pic d’une centaine vers midi), tandis que le nombre des défenseur·es n’a cessé de grossir pendant toute la période de 9 h à midi, pour atteindre un nombre dépassant largement les 1 000 participant·es, en dépit de conditions météo exécrables.
Dès 8 h 15, des tentes d’accueil ont été dressées sur le site pour informer les participant·es du programme de la journée au fur et à mesure qu’iels arrivaient, leur distribuer de la nourriture et des boissons chaudes et leur permettre de se mettre à l’abri de la pluie quelques instants si nécessaire. Un puissant système de son a été mis en place pour faire jouer de la musique entraînante et communiquer les messages importants aux participant·es tout au long du rassemblement. Différents groupes alliés se sont également installés dans le périmètre pour contribuer au bon fonctionnement de l’événement ainsi qu’au plaisir et au bien-être des participant·es.
Pendant des heures, les participant·es à la contre-manifestation se sont relayé·es le long du cordon policier pour faire face aux réactionnaires, étouffer leurs discours et leur montrer que la résistance au mouvement transphobe est vive, diversifiée et déterminée.
Un blocus a été mis en place dès 9 h 30 au coin des rues Fullum et Sainte-Catherine de manière à empêcher les réactionnaires de passer par là pour rejoindre leur regroupement. Une centaine de personnes se sont relayées sur cette position stratégique pendant plusieurs heures jusqu’au moment de la dispersion.
Un autre contingent s’est constitué à partir de 11 h avec pour objectif de contourner le périmètre policier et d’aller confronter directement le rassemblement réactionnaire. Vers 11 h 15, cette équipe volante d’environ 100 personnes s’est mise en marche. Après une brève altercation avec un homme portant un chandail « Kill All Pedophiles », ce groupe s’est rendu jusqu’à l’intersection de l’avenue De Lorimier et de la rue René-Lévesque, où une ligne d’antiémeute a été déployée par le SPVM pour entraver sa progression vers les opposant·es. Ce face-à-face a eu pour effet de bloquer la circulation dans les quatre directions pendant 45 minutes et donc, 1) d’empêcher les nouveaux arrivant·es du camp réactionnaire de se joindre à leur rassemblement par ce passage à partir du métro Papineau, et 2) d’empêcher toute dispersion des opposant·es par le flanc ouest vers le Village. L’équipe volante a ensuite oscillé sur l’avenue De Lorimier entre René-Lévesque et Sainte-Catherine, et plus tard grossi pour atteindre quelques centaines de personnes.
Malgré que la police ait réussi à protéger le groupe principal d’EPPNE contre un assaut direct, le mot s’est clairement rendu aux transphobes qu’iels se faisaient graduellement encercler par plusieurs groupes distincts de contremanifestant·es et que leur circuit vers le centre-ville était bloqué. Après qu’il soit devenu clair, vers 12 h 30, que les opposant·es se dispersaient vers l’Est dans la direction du métro Frontenac (à l’insistance du SPVM), l’équipe volante s’est lancée à leur poursuite dans les rues de Centre-Sud, dans une sorte de « tour de la victoire », pendant que le reste du rassemblement de défense populaire (encore plusieurs centaines de personnes à ce stade-ci) restait sur le site pour célébrer la défaite des opposant·es dans la joie et la bonne humeur. Le contingent volant s’est dispersé vers 13 h 30 au métro Frontenac et le camp de la rue Fullum a été levé peu après.
Victoire!
L’objectif d’empêcher les opposant·es de se réunir devant le 600 Fullum a été essentiellement atteint, puisque le déploiement policier les a obligé·es à se regrouper à une certaine distance; d’un autre côté – comme d’habitude-, c’est aussi la protection de la police qui a empêché les défenseur·es de confronter directement les opposant·es et de les repousser encore plus loin.
L’objectif de les empêcher de se réunir en grand nombre a aussi été partiellement atteint, en forçant les opposant·es à faire de grands détours pour rejoindre leur regroupement ou à rebrousser chemin devant une résistance dynamique. Il faut cependant admettre que d’autres facteurs, dont la désorganisation interne des opposant·es, les conditions météorologiques et le traumatisme dû à la crise actuelle au Proche-Orient, ont dû jouer un rôle important dans l’échec de la mobilisation réactionnaire.
L’objectif d’empêcher les opposant·es de marcher vers le Village et celui de les forcer à se disperser vers l’Est ont été catégoriquement atteints.
Sur les médias sociaux comme sur la chaîne WhatsApp « Montreal 1MillionMarch4Children », de nombreux participant·es ont avoué leur perplexité, leur agacement et leur découragement devant cette déconfiture évidente. Certains, dont Mohamed Yous et Pascal Zurlu Antonin, ont même carrément admis que la défense populaire était beaucoup mieux mobilisée et organisée que les opposant·es à l’éducation sexuelle inclusive. Un autre abonné du groupe WhatsApp s’est plaint que les contre-manifestant·es « constituent seulement 0,3 % de la population, mais sont très intelligents et maléfiques (sic). »
Curieuse alliance que celle-ci…
Fait intéressant à noter, il s’avère que les organisateurs·trices d’Ensemble pour protéger nos enfants avaient signifié à plusieurs influenceurs complotistes, dont Alexis Cossette-Trudel et François Amalega, que la participation des « complotistes » n’était pas la bienvenue. Ça n’a pas empêché un nombre significatif de personnages issus de ces milieux de s’y présenter, dont le proche complice d’Amalega, Pascal Zurlu Antonin, et Carl Giroux, un vlogueur habitué des manifestations anti-LGBTQ+, sans mentionner les désinformateurs de Rebel News (Alexa Lavoie et Guillaume Roy), qui n’en manquent pas une.
Plusieurs participant·es musulman·es à la chaîne WhatsApp « Montréal 1MM4C » ont relevé avec raison qu’une partie importante de la manifestation était cette fois-ci composée de Québécois·es blanc·hes, contrairement à celle du 20 septembre. Nous sommes dans le regret de les informer, toutefois, que plusieurs des ces « de-souche » sont des personnages notoires des milieux islamophobes que Montréal Antifasciste a documenté dans la période 2017-2019, comme La Meute et la Vague bleue, lesquels soutiennent fanatiquement la Loi 21 sur la « laïcité de l’État ».
On a notamment remarqué Michel « Malik » Éthier, dont l’homophobie décomplexée n’a d’égal que la haine des musulmans qu’il affichait sans scrupule il y a quelques années. Il appert qu’Éthier s’abonne à toutes les patentes complotistes et obsessions hargneuses de l’extrême droite populiste, au gré des modes; après sa période xénophobe/islamophobe avec La Meute et Storm Alliance, il a surfé sur la vague « plandémie » et anti-vaccin, se joignant notamment aux tristement célèbres Farfadaas; il a ensuite affiché son soutien à Poutine et à l’invasion russe de l’Ukraine (adhérant au prétexte de dénazification, alors qu’il a lui-même plus d’une fois marché aux côtés de néonazis!), pour finalement s’investir dans le violent ressac homophobe et transphobe actuel.
On a aussi reconnu dans la foule Michel « Mickey Mike » Meunier, un habitué des milieux islamophobes qui a littéralement souhaité aux musulmans d’autres massacres comme celui du 29 janvier 2017. Meunier avait fait profil bas au cours des dernières années, mais il a manifestement succombé à l’appel de la cause transphobe.
Dans la manifestation réactionnaire, s’adressant aux médias, se trouvait également la féministe transphobe Annie-Ève Collin, membre notoire du collectif « Pour les droits des femmes du Québec » (PDF-Québec), une organisation fanatiquement favorable à la Loi 21. S’il faut le rappeler, cette loi discriminatoire codifie l’exclusion des femmes portant le hijab de tout poste d’enseignement dans les écoles publiques du Québec. Il faut lire cet article de Mme Collin pour savoir ce qu’elle pense vraiment du hijab… Est-ce qu’Hanan Masuod et ses acolytes souhaitent vraiment faire cause commune avec une telle personne? Il semblerait que oui, car l’administratrice de la page EPPNE a choisi d’adopter pour photo de profil la pancarte d’A.-E. Collin!
Devant le constat que leur invitation à manifester attire vers eux bon nombre de coucous islamophobes, peut-être serait-il pertinent pour les organisateurs·trices de faire le ménage dans leurs appuis et, pourquoi pas, de réévaluer l’utilité et la pertinence de leurs modes d’action.
Conclusion
Le réseau de défense populaire LGBTQ+ a subi un revers le 20 septembre dernier. Nous avions collectivement sous-estimé notre adversaire et échoué à prendre suffisamment au sérieux les signaux d’alarme lancés par certain·es de nos camarades. Cette erreur stratégique s’explique aussi en partie par le fait que nous avions remporté sans trop d’efforts, au cours des mois précédents, une série d’affrontements avec les transphobes de type « coucou », et tenions pour acquis que cette nouvelle manifestation serait plus ou moins du même genre. Nous avons plutôt été confronté·es à un nouvel adversaire, qui compte sur d’autres réseaux et a des capacités de mobilisation d’un autre ordre.
Face à cette situation inédite, nous avons redoublé d’effort, regroupé nos ressources et organisé de manière exemplaire, notamment en démarchant auprès des nombreuses organisations alliées qui ont soutenu publiquement notre contre-manifestation du 21 octobre. Nous devons bâtir sur ce travail fructueux avec nos allié·es, non seulement pour cette lutte spécifique, mais de manière générale, ce qui implique nécessairement une mobilisation plus active autour des luttes parallèles de nos allié·es. En somme, il faut profiter de cet élan pour construire un mouvement plus généralisé.
Le caractère particulier de notre adversaire dans ce cas-ci soulève des questions complexes sur la façon de résister à la transphobie et à la queerphobie tout en agissant de façon cohérente et raisonnée contre l’islamophobie, en particulier si celle-ci devait surgir dans nos propres milieux. La nature même d’une communauté marginalisée et opprimée agissant d’une manière qui constitue une attaque contre une autre communauté marginalisée et opprimée place la barre plus haut pour nous et représente un test de sophistication et de maturité pour notre mouvement.
Comment construire des ponts et renforcer des solidarités nécessaires? Comment démanteler les préjugés et contrer la désinformation toxique au sein de différentes communautés? Comment désamorcer les réflexes réactionnaires de part et d’autre? Voici autant de questions qu’il nous faudra examiner sérieusement au cours des prochains mois.
[1] L’élection du nouveau président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, est un exemple récent de ce phénomène.