En avril 2020, au plus fort de la pandémie de COVID-19, apparaissent dans les quartiers centraux de Montréal des autocollants signés Frontcf.ca. Les autocollants, qui arborent alternativement le Carillon-Sacré-Cœur (un étendard obsolète évoquant la primauté perdue de l’Église catholique sur l’État du Québec) et une image d’archive représentant Jacques-Cartier hissant la croix en 1534, renvoient au site Internet d’un prétendu « Front canadien-français », dénomination jusque-là inconnue. On trouve sur le site une présentation sommaire du nouveau groupuscule, une série d’illustrations dans le style rétrofuturiste/fashwave et quelques photos « d’actions » aux auteurs anonymes, lesquelles sont aussi reproduites sur des comptes Twitter, Instagram et Facebook associés.

À la lecture du credo poussiéreux de ces jeunes ringards, on serait tenté de tourner en dérision leur programme rétrograde tout droit sorti de la Grande noirceur… Toutefois, la poignée de jeunes militants du FCF qui ont eu la maladresse de se dévoiler sur les réseaux sociaux nous ont permis d’établir des liens clairs entre leur petite bande de zoomers arriérés et certains des segments les mieux ancrés de l’extrême droite québécoise, dont le courant nationaliste ultracatholique qui sévit discrètement ici depuis plusieurs décennies.

– >>> Qui sont les militants du Front canadien-français (passez directement à la galerie)

Voici donc un portrait de ce petit groupe de vingtenaires décalés et des inspirateurs fachos dont ils espèrent aujourd’hui reprendre le flambeau.
(6 000 mots; temps de lecture environ 20 minutes.)

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Au cours du printemps 2020, tandis que sévit la pandémie de COVID-19, plusieurs éléments disparates ayant piqué notre curiosité au fil des derniers mois tendent à suggérer l’émergence d’un nouveau réseau cohérent dans la région de Montréal : l’apparition en 2019 d’une pléthore de pages de mèmes[i] réactionnaires propageant des valeurs catholiques intégristes, hyperconservatrices, racistes et transphobes; la publication dans Le Devoir, en janvier 2020, d’un « Manifeste contre le dogmatisme universitaire » cosigné par une soixantaine d’étudiant-e-s réactionnaires; le passage à Nomos.tv (la chaîne YouTube du projet ultranationaliste Horizon Québec Actuel) d’un militant catholique faisant circuler une étonnante « Lettre ouverte aux évêques de l’Église catholique au Canada français »; l’apparition de plus en plus fréquente du drapeau Carillon-Sacré-Cœur[ii], d’abord lors de manifestations (à la Vague bleue du 4 mai 2019, et lors de la grande Marche pour la Terre du 27 septembre 2019), puis sous forme d’autocollants à différents endroits de la ville; et enfin, la mise en ligne du site FrontCF.ca, dont de nouveaux autocollants font la promotion dans les rues de Montréal et que des éléments de contenu lient à au moins l’une des pages de mèmes mentionnées ci-dessus.

L’un des nombreux autocollants du FCF apparus à Montréal au printemps 2020. Il représente le Carillon-Sacré-Cœur.

L’un des nombreux autocollants du FCF apparus à Montréal au printemps 2020. Il représente le Carillon-Sacré-Cœur.

Survient alors une série d’actions, relayées sur les comptes Twitter, Instagram et Facebook du nouveau groupuscule, qui puise dans l’habituel répertoire d’action des mouvements sociaux (de gauche comme de droite). En particulier, les jeunes du Front canadien-français semblent calquer leur militantisme sur des organisations comme l’Action Française (royaliste et catholique, en France) ou Atalante au Québec. Depuis quelques semaines, ils se mettent en scène sur les médias sociaux en train d’appliquer des autocollants, de se recueillir devant des monuments historiques en brandissant des drapeaux, ou encore de nettoyer ces monuments pour exprimer leur amour d’un passé glorifié. Ces actions ont bien sûr pour but de faire connaître leur projet et d’éventuellement recruter de nouveaux membres (une intention que confirme d’ailleurs la signature « Rejoins nos rangs! » au bas de leurs textes).

Pour l’instant, des autocollants du FCF ont été aperçus à Montréal et dans quelques localités des rives Sud et Nord de la métropole. Leur première action n’a pas été revendiquée officiellement, mais elle a été publicisée sur le compte Instagram d’un des membres ainsi que sur le groupe Facebook du Mouvement des Jeunes Souverainistes [iii] : il s’agit d’un rassemblement devant la statue de Dollard des Ormeaux au parc La Fontaine de Montréal, le 18 mai 2020, pour marquer la Journée nationale des Patriotes, jadis connue comme la Fête de Dollard.

Le Front canadien-français devant le monument de Dollar Des Ormeaux, le 18 mai 2020, à Montréal.

Alexi Larose, du FCF, devant la tombe du chanoine Lionel Groulx, à Vaudreuil, le 23 mai 2020.

Les militants du FCF ont ensuite diffusé des photos d’un hommage à Lionel Groulx, prononcé le 23 mai sur la tombe du chanoine notoirement antisémite, à Vaudreuil. Cette commémoration du décès de Lionel Groulx était animée par Alexandre Cormier-Denis (dont nous reparlerons plus loin) d’Horizon Québec Actuel, qui en a d’ailleurs relayé la captation sur sa chaîne YouTube, Nomos.tv. On reconnaît plusieurs membres du FCF, dont Jason Mc Nicoll Leblanc et Jean-Philippe Desjardins Warren, qui ont trahi leur présence sur leur compte Instagram respectif. On peut aussi apercevoir deux autres membres dont les visages ne sont pas masqués, Vincent Benatar et Alexis Larose, le premier lisant une lettre de l’abbé Daniel Couture, où l’éminent membre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX, voir ci-dessous pour plus de renseignements) exprime son regret d’être absent à la commémoration.

Un militant du FCF gravit au péril de sa vie le monument d’Ignace Bourget, à Montréal, le 8 juin 2020.

Dans les semaines suivantes, les membres du FCF se sont à nouveau mis en scène en train de nettoyer deux statues à Montréal : celles de Camille Laurin (« le père de la loi 101 ») et de Mgr Ignace Bourget, décrochant au passage une banderole Black Lives Matter, au prix d’un « courage » (sic) extraordinaire…

Si le parallèle avec Atalante se confirme, les militants du FCF s’entraîneront bientôt en secret à la boxe thaïlandaise pour distribuer des sandwichs au Paris Pâté!

Ce qui est certain, c’est que la présence en arrière-plan d’organisations comme la FSSPX ou Horizon Québec Actuel laisse présumer des liens avec une frange de l’extrême droite ancrée au Québec depuis fort longtemps…

 

De qui (ou de quoi) les militants du  Front canadien-français se veulent-ils la jeune garde?

L’historien Roger Griffin définit le fascisme comme une forme « révolutionnaire d’ultranationalisme palingénésique[iv] ». Le terme rare « palingénésie », dérivé du grec, signifie « renaissance », ou régénération, c’est-à-dire un retour de « ce qui a déjà été et qui n’est plus ». Appliqué à un programme « ultranationaliste », le concept réfère donc à l’éventuelle renaissance de la nation (définie comme intérêt primordial) sous une forme idéalisée, et sa déclinaison « révolutionnaire » implique par définition l’éventuel recours à des moyens insurrectionnels (ou la menace d’un tel recours) pour concrétiser cette renaissance.

Les boneheads rechromés d’Atalante, par exemple, qui se décrivent eux-mêmes comme « nationalistes révolutionnaires » et dont nous avons déjà amplement documenté la démarche et la filiation, correspondent assez bien à cette définition, tout comme d’autres groupuscules et individus marginaux et plus ou moins organisés (dans les sphères NSBM ou Alt-Right, par exemple).

Il existe cependant un autre courant d’extrême droite implanté au Québec depuis beaucoup plus longtemps, dont nous avons fort peu parlé ici, et dont les principaux regroupements se sont quant à eux toujours explicitement définis comme « contre-révolutionnaire ».

Si ces groupes mettent généralement l’accent sur la dimension spirituelle de leur activisme, on retrouve chez eux une série de traits qui rejoignent la définition que donne Griffin du fascisme. À différents degrés, ils conçoivent tous la nation canadienne-française comme plongée dans une situation de décadence suicidaire, corrompue par la perte de sa culture traditionnelle (largement imaginée), la transformation des normes de genre, et la laïcisation de la société. Ces groupes perçoivent aussi l’Église catholique romaine comme souffrant d’une dégénérescence analogue. Pour eux, l’Église est contaminée par les idées de la gauche et un pitoyable désir de « s’ajuster » au monde moderne, qu’exemplifient l’abandon et la marginalisation du rite « tridentin » (la messe latine), et doit être rendue à sa forme ancienne et traditionnelle. De plus, ils considèrent divers régimes dictatoriaux de droite, comme ceux de Franco en Espagne (1939-1977) et de Salazar au Portugal (1933-1974), comme des points de références positifs au sein de leur tradition. Plus près de chez nous, le gouvernement de Maurice Duplessis (1936-1939, 1944-1959), réputé pour avoir brutalement réprimé les mouvements de grève, rendu illégaux les rassemblements communistes (la « loi du cadenas »), emprisonné les minorités religieuses et truqué des élections, est érigé en modèle.

À l’échelle internationale, ce courant ne s’est vraiment constitué qu’après les réformes de Vatican II dans les années 1960, car avant ce moment charnière, leurs idées faisaient partie du courant dominant au sein de l’Église catholique. Il s’en est suivi des années de débats et un certain nombre de scissions, certains préférant partir ou être excommuniés que d’admettre les réformes, ce qui a mené à l’étrange situation où certains des catholiques les plus endurcis ont été expulsés de la sainte Église catholique romaine, précisément parce qu’ils étaient trop attachés à leur vision traditionnelle du culte catholique.

Mgr Marcel Lefebvre, le fondateur de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX).

Le principal exemple de ce schisme, d’abord en Europe, puis en Amérique du Nord, a longtemps été la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, fondée en Suisse par Mgr Marcel Lefebvre en tant que havre pour les catholiques qui ne voulaient pas renoncer au rite latin et à ce qu’il symbolise. Après des années de conflits avec le Vatican, Mgr Lefebvre et d’autres dirigeants de la FSSPX ont été excommuniés en 1988[v].

Il est important de comprendre la signification de cette rupture, au-delà des disputes religieuses. Pour les membres de la FSSPX, l’ouverture du Vatican sur les réalités du monde moderne était la preuve d’un complot maléfique mondial ayant réussi à faire pénétrer la « fumée du Diable » à l’intérieur même de l’Église. Mais à qui imputaient-ils ce complot diabolique? Alternativement, il fallait blâmer les francs-maçons, les communistes, les Illuminatis et, inévitablement, les Juif-ve-s. Mais bien souvent, s’inspirant de la longue tradition droitiste consistant à désigner des boucs émissaires et à animer des polémiques au sein de l’Église, des théories furent échafaudées pour tenter de démontrer que toutes ces forces ont en fait conspiré au fil des siècles pour détruire l’Église et favoriser l’avènement d’un gouvernement mondial unique et impie (la Réforme protestante, la Révolution française, l’introduction des droits de la personne et des principes démocratiques, la transformation des rôles de genre, et les réformes apportées à l’Église reflétant différents aspects de ce complot tentaculaire). Ainsi, la FSSPX (comme d’autres traditionalistes catholiques) s’est souvent compromise avec d’autres courants politiques d’extrême droite. Marcel Lefebvre lui-même n’a jamais caché son appui au Front national (FN) de Jean-Marie Le Pen et aux régimes dictatoriaux de Franco en Espagne, Salazar au Portugal, Videla en Argentine (1976-1983) et Pinochet au Chili (1973-1990). En 1989, il a été révélé que pendant 16 ans, des membres de la FSSPX et de l’Ordre des chevaliers de Notre-Dame avaient abrité et protégé Paul Touvier, lequel était inculpé pour son rôle central dans la déportation des Juif-ve-s de Lyon vers les camps de la mort allemands. (Touvier a finalement été arrêté, à 74 ans, au prieuré Saint-Joseph de la FSSPX, à Nice[vi].)

Au Québec, l’aliénation ressentie par une partie de la droite catholique suite à Vatican II a été exacerbée par les changements induits par la prétendue Révolution tranquille. La réaction a initialement produit un milieu marginal et fragmenté, principalement préoccupé par la préservation de la messe en latin et la résistance aux plans de la Commission Parent (1961-1964) visant à laïciser le système d’éducation québécois, et bientôt obsédé par la suppression catégorique du droit à l’avortement. Pendant de nombreuses années, une pollinisation croisée s’est alors opérée entre ce milieu traditionaliste catholique et d’autres traditions d’extrême droite, diverses théories de complot leur servant de cadre référentiel commun. Plusieurs membres de la communauté du rite latin étaient également impliqué-e-s dans l’organisation ouvertement nazie d’Adrien Arcand, le Parti de l’Unité Nationale du Canada (PUNC); des cadres du Regroupement scolaire confessionnel (qui a contrôlé la plus importante commission scolaire de Montréal pendant une bonne partie des années 1980 et 1990) se sont à plusieurs reprises avérés faire partie d’organisations racistes, anti-choix et ouvertement fascistes; puis le Ralliement provincial des parents du Québec (RPPQ) a fini par servir de base pour la création du Centre d’information national Robert Rumilly (CINRR) en 1990.

Jean-Claude Dupuis, ancien militant clé du Cercle Jeune Nation, aujourd’hui étroitement associé à la FSSPX et au Mouvement Tradition Québec.

Entre 1993 et 1995, les lefebvristes ont animé un groupe d’étude à l’Université Laval, à Sainte-Foy, qui pour les cathos traditionalistes était à l’époque un lieu propice au recrutement. Le Cercle d’études des jeunes catholiques traditionalistes (CEJCT) organisait des conférences par des sommités d’extrême droite du Canada, des États-Unis et d’Europe, dont des membres du Front national, ainsi que des éminences locales comme Jean-Claude Dupuis et Louis-Michel Guilbault (sur qui nous reviendrons plus loin). Ces tournées de conférences étaient souvent coordonnées avec le CINRR, le RPPQ et une autre organisation, probablement le plus important groupe d’extrême droite à l’époque, le Cercle Jeune Nation (CJN).

Le Cercle Jeune Nation a été fondé en 1986, mais n’est devenu visiblement actif que dans les années 1990. Modelé sur le Front national de Jean-Marie Le Pen, le CJN se voulait un grand chapiteau sous lequel différents courants d’extrême droite pourraient coexister et mettre de l’avant des positions communes. Fondé en partie par des vétérans de la minuscule tradition fasciste et nazie du Québec, ses membres espéraient élaborer une critique droitiste crédible de la Révolution tranquille et contester la supposée hégémonie de la gauche au sein du mouvement nationaliste québécois. Le CJN collaborait avec de nombreuses organisations racistes et de droite. Dans sa publication, les Cahiers de Jeune Nation, le CJN faisait paraître des articles de Dimitri Kitsikis, un professeur d’histoire de l’Université d’Ottawa, et de François-Albert Angers, un patriarche du nationalisme québécois. On y trouvait aussi des collaborateurs d’outre-mer, comme Michael Walker et Thomas Molnar, des partisans européens du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE, le berceau fasciste de la Nouvelle Droite européenne), ainsi que Gunter Deckert, le futur président du parti cryptonazi Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD).

La composition diversifiée du CJN a fini par avoir raison de l’organisation, qui s’est dissoute en 1994 suite à une scission entre ceux qui jugeaient que certaines positions religieuses mises de l’avant nuisaient à sa crédibilité et ceux qui voyaient en cette fausse pudeur une forme d’hypocrisie. Bien que pour la plupart, les membres du CJN n’étaient pas lefebvristes, le rédacteur en chef de son journal, Jean-Claude Dupuis, était membre de la FSSPX, et le Cercle a régulièrement collaboré avec les lefebvristes ainsi qu’avec d’autres catholiques d’extrême droite, comme les animateurs du Centre d’information nationale Robert Rumilly.

À plusieurs égards, la base d’appui du CJN ressemblait à celle de la Fédération des Québécois de souche (FQS) aujourd’hui. La principale différence étant que le CJN avait réussi à se rapprocher de certains éléments de l’aile droite du milieu nationaliste et était parvenu à occuper une place de choix au sein de l’extrême droite à son époque. La FQS quant à elle, en partie en raison de ses origines néonazies bien documentées, est plus éloignée de la droite « légitime », et l’espace qu’elle occupe sur la droite de celle-ci est partagé avec un plus grand nombre d’acteurs, non seulement d’autres fascistes (comme Atalante), mais aussi le mouvement national-populiste (qui est pour l’instant quelque peu dégonflé).

Il est néanmoins frappant de constater à quel point les forces politiques présentées ci-dessus sont toujours en place aujourd’hui. Les cofondateurs du Cercle Jeune nation Roch Tousignant et François Dumas, par exemple, sont aujourd’hui rattachés à la Fédération des Québécois de souche, tandis qu’un autre pilier de l’organisation, Jean-Claude Dupuis, est toujours intimement lié à la FSSPX, pour laquelle il enseigne l’histoire à l’École Sainte-Famille de Lévis.

Il n’est pas difficile de conclure qu’il existe là un milieu politique cohérent qui a réussi à se reproduire et à maintenir une certaine continuité dans le temps malgré la variation des structures dans un contexte politique changeant, en attirant de nouveaux membres et en retenant des militants qui étaient déjà actifs il y a plusieurs dizaines d’années.

Kenny « Goglu » Piché et Étienne Dumas, du Mouvement Tradition Québec (MTQ).

Aujourd’hui, le courant lefebvriste est principalement représenté au Québec par le Cercle Tardivel, le Mouvement Tradition Québec et les Éditions de la vérité, qui sont animés par des militants fidèles à la FSSPX. Ces trois entités sont inscrites au Registraire des entreprises du Québec au nom de Kenny Piché, Étienne Dumas et Julien Chapdelaine[vii]. Si Piché et Dumas ont déjà fait l’objet de billets du blogueur antiraciste Xavier Camus (à lire, ici et ici), il semble que Chapdelaine, vraisemblablement proche de la FQS, ait quant à lui servi comme agent officiel du néonazi Sylvain Marcoux lors des dernières élections provinciales.

Les jeunes réactionnaires du Front canadien-français sont donc les héritiers directs de cette tradition d’extrême droite ultracatholique, passéiste et nostalgique du Québec prémoderne. En dépit de l’étiquette contre-révolutionnaire qu’ils ont reprise de leurs prédécesseurs, ces nouvelles recrues présentent une tendance fascisante très marquée, que reflètent leurs écrits publics et les pages de médias sociaux qu’ils animent (voir la section sur les pages de mèmes ci-dessous). Leur nationalisme est ethnique (raciste, adepte de la théorie du « Grand remplacement »), anti-diversité, anti-égalité, et grossièrement hétéropatriarcal (antiféministe et traversé d’une opposition idéologique et morale à l’avortement). Il prône un retour aux « valeurs traditionnelles » qui selon eux caractérisaient l’âge d’or de la nation canadienne-française : la mainmise de l’Église catholique sur la société et les affaires politiques (ultramontanisme), des familles nombreuses où les femmes sont dépourvues de pouvoir et n’ont aucun droit sur leur santé reproductive, et un gouvernement autoritaire, populiste et hyperconservateur ne s’embarrassant pas des mécanismes démocratiques ou des libertés civiles, dont la figure de Maurice Duplessis demeure l’emblème glorifié.

Étienne Dumas, du Mouvement Tradition Québec, prend la pause avec Jason Mc Nicoll Leblanc, Vincent Benatar et Alexi Larose, du Front canadien-français.

 

Le lien FQS et l’influence d’Horizon Québec Actuel

Un mot au passage sur la Fédération des Québécois de souche (FQS), dans l’ombre de laquelle le FCF semble évoluer. Rappelons que la FQS a été constituée en 2007 par des néonazis (dont le repenti Maxime Fiset) et s’est perpétuée jusqu’à nos jours en fédérant différents courants nationalistes d’extrême droite (un peu comme l’avait fait avant elle le Cercle Jeune Nation), dont certains sont antinomiques et explicitement contradictoires.

On retrouve dans le journal de la FQS de francs néonazis, comme Sylvain Marcoux et son éternel projet de Rassemblement national canadien-français, les fachos soi-disant « révolutionnaires » d’Atalante sous la plume d’Alexandre Peugeot (vraisemblablement l’alter ego d’Antoine Mailhot-Bruneau, modelé sur le composite Rémi Tremblay de la FQS), mais aussi  d’autres auteurs représentant différentes tendances. On y relève notamment une influence marquée du courant lefebvriste porté par le Mouvement Tradition Québec et d’autres personnages familiers des cercles ultranationalistes décrits ci-dessus.

La photo de profil de Louis-Michel Guilbaut sur Facebook. Ce militant ultranationaliste de longue date et proche sympathisant de la Fédération des Québécois de souche anime aussi le compte FB « Louis Roy » et gère la boutique de pacotilles traditionalistes Ludovidec.

On remarque ainsi dans le réseau social du FCF un certain nombre d’individus rattachés de près ou de loin à la FQS par son courant traditionaliste et contre-révolutionnaire, comme Étienne Dumas et Louis-Michel Guilbault (« Louis Roy », sur Facebook) un enragé traditionaliste de longue date[viii] qui se spécialise désormais dans la production de marchandise pré-poussiéreuse, dont des drapeaux Carillon-Sacré-Cœur, des bustes en plastoc de Maurice Duplessis (!) et d’autres pacotilles produites localement, qu’il distribue par l’entremise de son entreprise Ludovidec (inscrite au Registraire des entreprises au nom de Louis-Rémi Guilbault).

En plus de leur filiation au Mouvement Tradition Québec et à la FSSPX, il apparaît aussi très clairement que les militants du Front canadien-français tournent dans l’orbite d’Horizon Québec Actuel, le projet ultranationaliste animé par Alexandre Cormier-Denis et Philippe Plamondon.

Cormier-Denis est en voie de devenir une figure clé dans l’extrême droite québécoise. Ce partisan/militant de Marine Le Pen et du Rassemblement national (ancien Front national) s’est effectivement positionné avec la chaîne YouTube Nomos.tv comme prolifique propagandiste du nationalisme ethnique, réactionnaire et raciste au Québec : repli ethnique/identitaire, anti-immigration (amplification de la théorie du « Grand remplacement »), islamophobie, anti-progressisme, antiféministe, anti-choix, anti-diversité, etc. En plus de ses nombreuses vidéos sur Nomos.tv, Cormier-Denis est collaborateur régulier à la plateforme Vigile.Québec (droite nationaliste) et a parfois été invité à intervenir sur différents enjeux, ce qui contribue à légitimer les idées toxiques qu’il ne manque aucune occasion de claironner. Il a notamment été invité à l’émission Zone Franche de Télé-Québec, en 2019, pour débattre de la question : « Est-ce qu’on accueille trop d’immigrants au Québec? ». On vous laisse deviner sa réponse. Il a plus récemment fait parler de lui en marge d’une entrevue à QUB Radio, où la teneur homophobe de ses propos a poussé l’animateur à interrompre l’entrevue (après 20 minutes en roue libre, tout de même), ce qui a fait crier ses admirateurs à la censure. Lui et Plamondon reçoivent par ailleurs différents invités à Nomos.tv, dont récemment le leader d’Atalante Raphaël Lévesque, à l’occasion d’une entrevue manifestement préparée dans la plus harmonieuse des complicités.

Une sorte d’« hommage » à Alexandre Cormier-Denis retweeté par le FCF.

Bien qu’ils se défendent comiquement d’être racistes, Cormier-Denis et ses acolytes interviennent régulièrement pour déplorer « l’ensauvagement » des sociétés occidentales, qui serait liée à « l’immigration massive », ce qui n’est plus tant de l’ordre du dog-whistle raciste que du panneau réclame en néon clignotant. Rappelons qu’en 2017, sa candidature à l’élection partielle québécoise sous la bannière du Parti indépendantiste (considéré comme une antenne du Front national au Québec et régulièrement décrié au fil des années pour sa proximité avec des militants néonazis) avait été marquée par une controverse mineure autour d’une pancarte électorale (reprise du Front national) grossièrement islamophobe et xénophobe. (Pour plus de renseignements, veuillez consulter notre fiche sur Horizon Québec Actuel.)

Compte tenu de l’évidente proximité idéologique entre Québec Horizon Actuel et le Front canadien-français, il n’est pas étonnant que les deux projets s’avèrent connexes. Le 23 mai 2020, à l’occasion de la commémoration du décès du chanoine Lionel Groulx organisée par le FCF à Vaudreuil, ce n’est nul autre qu’Alexandre Cormier-Denis qui agit à titre de maître de cérémonie. On reconnaît aussi dans la vidéo de la commémoration publiée sur Nomos.tv, parmi les jeunes militants du FCF, Alexi Larose, qui semble-t-il réside à la même adresse que Philippe Plamondon… ce qui n’est sans doute encore qu’une coïncidence.

On pourrait ainsi, au vu de toutes ces convergences, être porté-e-s à se demander si ce fameux FCF ne serait pas un peu la nouvelle garde d’idiots utiles formée idéologiquement dans l’ombre de la Fédération des Québécois de souche, de la FSSPX, du Mouvement Tradition Québec et d’Horizon Québec Actuel…

 

Une curieuse « Lettre ouverte aux évêques »

En novembre 2019, la Campagne Québec-Vie et la FSSPX publient sur leur site Internet respectif une « Lettre ouverte aux évêques de l’Église catholique au Canada français », signée par un certain Julien Bertrand[ix]. On remarque au passage une coïncidence très forte entre ce texte et une autre « lettre ouverte » publiée sur le site du FCF quelque temps après. Le langage, le vocabulaire et le propos sont en fait plus ou moins identiques dans les deux textes, et la phrase suivante est carrément reproduite textuellement dans les deux lettres, ce qui laisse croire qu’elles sont le fait du, ou des, même(s) auteur(s) :

« À l’image de notre saint patron Saint Jean le Baptiste, nous sommes la voix qui crie au milieu des ruines de béton et des nids de poule. Il est de notre devoir de hurler au nom de nos frères qui se suicident et de notre peuple qui se meurt. »

Le 6 décembre 2019, Julien Bertrand est invité à Nomos.tv pour expliquer la démarche entourant sa lettre. Le même jour, Vincent Benatar, lui aussi signataire, plogue son « bon ami Julien » sur la page Mèmes evangeliste duplessiste puis, la semaine suivante, accorde à son tour une entrevue sur le même sujet à E. Michael Jones, un traditionaliste catholique américain tristement réputé pour son antisémitisme.

Tout porte donc à croire que Julien Bertrand est un autre des militants clés du FCF.

 

La memegame des jeunes antimodernistes

Une particularité de cette nouvelle génération de wannabe ultramontains est son affection pour le langage particulier des mèmes (malgré son aversion ostentatoire pour « la modernité »). Étudiant en gestion à l’UQAM, Vincent Benatar s’est d’ailleurs démarqué du lot par la prolificité de ses publications sur la page Facebook qu’il administre, Mèmes evangeliste duplessiste (sic).

Un survol du contenu de cette page, tout comme la lecture de la présentation du FCF, la « Lettre aux évêques catholiques » qu’il a cosignée et son texte publié sur Vigile.quebec sur le thème du « Grand remplacement[x] », révèle le caractère profondément réactionnaire et raciste du programme politique mis de l’avant par Benatar et sa petite bande, lequel correspond en tous points à celui du courant traditionaliste ultracatholique décrit ci-dessus.

 

 

On constate aussi en parcourant l’historique de la page l’évolution de Benatar, qui a longtemps soutenu la Loi 21 sur la « laïcité de l’État » avant de se rendre compte que le principe de laïcité s’inscrit directement en faux contre les valeurs ultramontaines qui définissent complètement son positionnement idéologique. Les exemples de commentaires, mèmes et billets misogynes et racistes de Benatar sont trop nombreux pour les détailler ici, mais en voici un échantillon :

anti-choix
avortement_liberte
avortement-cintre
posts-provie
cathchse
fascisme-religieux
immigration-legale-massive
immigration_massive
partage_fqs
grand_remplacement_5etapes
remplacement
rant_anti-egalitariste
remplacementproempire
violence
reactionnaire-oui
reactionaires__
regime-seigneurial
lumires
rev_tranquille_erreur
orphelin_duplessis
plaisir-de-signer_manifeste
previous arrow
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Voici aussi les intitulés de quelques-unes des autres pages de mèmes que nous soupçonnons être ratachées de près ou de loin au FCF, ou du moins au réseau social où celui-ci évolue (n’hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez des renseignements au sujet de ces pages et de leurs administrateurs) :

  • Mèmes єναиgélιѕтє Duplessiste
  • Mesmes tradis sans retenue 𝖉𝖚 𝖇𝖆𝖗𝖔𝖓 𝖉𝖊 𝕷𝖔𝖓𝖌𝖚𝖊𝖚𝖎𝖑
  • Memes nationalistes pour zoomers Québécois
  • Mèmes clérico-nationalistes du Canada français
  • Memes merveilleux à la mémoire de Montcalm
  • Un mémé couleur de Radio-Cadenas
  • Memes Groulxiens d’instruction publique
  • Memes nationalistes québécois

Un autre élément important que révèle la page de mèmes de Benatar, ainsi que sa page personnelle et son compte Instagram, est le réseau virtuel en périphérie du projet. On retrouve ainsi dans la liste d’amis de Vincent Benatar une douzaine de militants et sympathisant-e-s d’Atalante (dont Raphaël Lévesque et son épouse Danielle Doukas, Benjamin Bastien, Antoine et Étienne Mailhot-Bruneau, Yannick Vézina, Renaud Lafontaine et Quentin « Jean Brunaldo » Pallavicini), de nombreux personnages liés à la Fédération des Québécois de souche (dont « Rémi Tremblay », Louis-Michel Guilbault/Louis Roy et Patrick Savoie), Étienne Dumas du Mouvement Tradition Québec, Guillaume Beauchamp du duo de cloches DMS, le nazillon Alt-Right Jean-Philippe Robert (JP Bobby), le vétéran de Charlottesville Vincent Bélanger Mercure (qui est d’ailleurs « Super Fan » de Mèmes evangeliste duplessiste), l’influenceur islamophobe Daniel Laprès, les tres amigos des Exilés (Félix Brassard, Michael Lauzon et Samuel Vanasse), l’antisémite Georges Tremblay, le néonazi Sylvain Marcoux, Philippe Plamondon, de HQA, etc… qui côtoient le NSBM païen Tom Samson (pas très chrétien, ça…) et le candidat à la chefferie du PQ, Frédéric Bastien!

Qui sont les militants du Front canadien-français?

Vincent Benatar
Instagram @vinceben24
https://www.facebook.com/vincent.benatar.90
https://twitter.com/benatarvince
Nous avions cet individu sur notre radar depuis quelques mois déjà. Il a signé le « Manifeste contre le dogmatisme universitaire » à titre d’étudiant en gestion à l’ESG-UQAM. Traditionaliste et pratiquant, il a étudié au Collège Bourget, une école secondaire catholique privée. Il semble s’être rapproché d’Atalante dans la dernière année (il est ami avec plusieurs membres clés et interagis régulièrement avec eux). Il est l’administrateur d’au moins une page de mèmes d’extrême droite : « Mèmes evangeliste duplessiste » et a signé un article d’une teneur extrémiste intitulé « Après le Grand Remplacement. Que faire lorsque nous serons minoritaires? », publié sur le site Vigile.quebec et relayé par Horizon Québec Actuel et la Fédération des Québécois de souche.
Jason Mc Nicoll Leblanc
Instagram @uncanadienerrant
https://www.facebook.com/jason.leblanc2799
Étudiant ou finissant au Cegep Édouard Montpetit, cet ancien sympathisant de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre semble avoir rejoint la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Il semble être un membre clé du FCF et est très actif sur les médias sociaux (il gère les comptes Instagram/Facebook @penséelaurentienne et le compte Instagram @carillonsacrécoeur) et s’occupe vraisemblablement des comptes Instagram, Twitter et Facebook du groupe. On doit à son indiscrétion de nous avoir révélé l’identité des membres du groupe, en partageant sur son compte Instagram une photo publique d’une action du FCF sur laquelle tous les membres étaient identifiés… La photo à depuis été retirée, malheureusement pour eux, nous veillons.
Alexi Larose
Instagram @Alexeain
https://www.facebook.com/alexi.larose
https://ca.linkedin.com/in/alexi-larose-6b3a15147
Ami de Vincent Benatar, il participe à toutes les actions du FCF. Son compte Instagram et son entêtement à coller des dizaines d’autocollants juste devant chez lui nous dévoilent qu’il vit sur le Plateau Mont-Royal… à la même adresse que Philippe Plamondon, le vice-président d’Horizon Québec Actuel. Par charité chrétienne, nous ne publierons pas son adresse ici.
Jean-Philippe Desjardins-Warren
Instagram @harfanglaurentien
https://www.facebook.com/jeanphilip.warren
Résidant de Longueuil et étudiant en histoire à l’UQAM, ce proche de Jason Mc Nicoll Leblanc ne nous est pas inconnu. Passé par la scène punk, il a gravité quelque temps dans le milieu underground montréalais, à l’époque où il étudiait au Cegep du Vieux-Montréal. Il a ensuite transité vers le métal noir québécois, où il a dû faire de mauvaises rencontres… Plus tôt cette année, il a signé le « Manifeste contre le dogmatisme universitaire » avant de participer aux actions du FCF. Il s’impliquerait par ailleurs au Conseil Jeunesse de la Société Saint-Jean-Baptiste.
Suleyman Ennakhili
Instagram @suleyman.ennakhili
https://www.facebook.com/suleyman.ennakhili
Présent aux actions du FCF, nous l’avions déjà aperçu à deux reprises arborant le Carillon-Sacré Cœur : à la manifestation islamophobe « La Vague bleue » le 4 mai 2019 à Montréal (ironiquement, sous la bannière prolaïcité des nationaux-populistes) et à la grande manif pour le climat du 27 septembre 2019. Originaire de Pointe-Calumet, on lui doit peut-être les stickers du FCF apparus à Saint-Joseph-du-Lac.
Francois Gervais
https://www.facebook.com/profile.php?id=100011065410118
Ami de Suleyman Ennakhili, il était avec lui et portait le Carillon-Sacré Cœur lors de la grande manif pour le climat du 27 septembre 2019. Il a signé le « Manifeste contre le dogmatisme universitaire » à titre d’étudiant en Histoire et civilisation au Cégep Lionel-Groulx. On lui doit peut-être les stickers apparus dans le vieux Sainte-Thérèse.
Julien Bertrand
https://www.facebook.com/julien.bertrand1534
Julien Bertrand est le principal signataire et promoteur de la « Lettre ouverte aux évêques catholiques au Canada français », dont certains passages sont identiques à la lettre ouverte publiée sur le site du Front canadien-français. En prime, voici un commentaire pas du tout raciste de Julien Bertrand qui reflète bien le message d’amour universel porté par le Christ.

 

 

Plus ça change, plus c’est pareil…

En tant que tel, le Front canadien-français n’a pas fait grand-chose – quelques autocollants, des manifestes en ligne, une poignée d’actions publiques sans conséquence. Le groupe ouvre néanmoins une fenêtre éclairante sur un certain nombre de réseaux fascistes et fascisants qui sont demeurés actifs au Québec depuis maintenant plus d’une génération.

Nous n’utilisons pas le terme « fasciste » à la légère : bien que ces courants se définissent eux-mêmes comme « contre-révolutionnaires », et bien que nous soyons sympathiques à la prémisse voulant que le fascisme soit par définition un mouvement révolutionnaire, il faut à notre avis éviter d’appliquer ce critère de manière trop automatique. Lorsque les membres du FCF et leurs amis se prétendent contre-révolutionnaires, ils réfèrent en fait à la Révolution française, voire à la Révolution tranquille, mais leur vision du monde implique sans aucun doute un renversement radical du système actuel pour imposer leurs idées dystopiques.

Contrairement aux bouffons/boomers de La Meute, Storm Alliance et autres patentes nationales-populistes, les militants de ces réseaux ne sont habituellement pas friands de publicité. Les réseaux fascistes les mieux implantés au Québec n’espèrent pas gagner les prochaines élections ou influencer les politiques gouvernementales au cours des prochains six mois. Ils conçoivent et envisagent leur lutte sur un horizon beaucoup plus long et poursuivent toujours l’objectif plus modeste de constituer de petites bases d’appui durables en encourageant des développements culturels et intellectuels favorables à leur ancrage. De cette manière, ils ont formé une sous-culture qui a réussi à se reproduire au fil des générations. Cette approche est une version de la stratégie « métapolitique » élaborée par l’extrême droite européenne suite aux échecs qu’elle a subie dans les années 1960. Tandis qu’en France, ce sont les événements de mai 1968 et l’indépendance de l’Algérie qui ont précipité cette stratégie défensive, les changements provoqués par la Révolution tranquille ont eu des effets similaires au Québec.

En ce qui concerne les curieuses tendances religieuses de nombreux fascistes québécois et de leurs adeptes, nous nous foutons absolument que la messe soit célébrée en français ou en latin (ou dans toute autre langue). Nous reconnaissons cependant que pour ces traditionalistes radicaux, la religion est un terrain symbolique important où ils peuvent rapidement établir leur opposition à tout l’éventail des caractéristiques du monde contemporain, c’est-à-dire tout ce qui entre en conflit avec ce glorieux passé canadien-français qui n’a jamais vraiment existé, où absolument tout le monde était blanc, catholique, hétérosexuel et aspirait à mettre au monde trente rejetons. En même temps, ils s’alignent symboliquement avec une longue (bien que marginale) tradition de militantisme politique remontant jusqu’au nazi Adrien Arcand (qui était par ailleurs farouchement fédéraliste!).

Chaque nation possède une culture et une histoire qui lui sont propres, lesquelles sont toujours remplies de contradictions et de contre-courants, mais comportent toujours une version « officielle » que les réactionnaires confondent avec une vérité pure et originelle. Au Québec, le point de référence religieux est forcément le catholicisme, et nos jeunes aspirants fascistes ont simplement choisi la variété de catholicisme qui correspond le mieux à leur vision politique. Sans grande surprise, ils ont choisi celle qui est si loin et si radicalement à droite qu’elle s’est vue expulser de l’Église!

Il est difficile de dire si le FCF durera plus que quelques mois, mais il est possible que ceux qui l’ont créé demeurent longtemps actifs dans cette tradition plus large de l’extrême droite.

Quoi qu’il en soit, nous veillerons.

 

 


[i]               Selon Wikipedia, un même Internet est « un élément ou un phénomène repris et décliné en masse sur Internet. »
https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8me_Internet

 

[ii]               Le Carillon-Sacré-Cœur, particulièrement prisé des nationalistes réactionnaires au Québec, est une version de l’étendard « officiel » du Canada français favorisé par une partie des nationalistes catholiques entre 1903 et 1935. Il a d’ailleurs été reconnu par le gouvernement provincial comme le drapeau officiel de la Société Saint-Jean-Baptiste en 1926. Commémorant la victoire française lors de la Bataille de Fort Carillon, le drapeau symbolise également par l’inclusion du Sacré-Cœur l’influence et la domination de l’Église catholique sur la nation, soit le principe ultramontain auquel aspire cette tradition ultracatholique. [Description : « Sur fond d’azur se détache une croix blanche, portant au centre l’emblème du Sacré-Cœur rayonnant, ceint d’une couronne d’épines et surmonté d’une croix; harmonieusement cerné d’une guirlande de feuilles d’érable: aux quatre angles, une large fleur de lys blanche. — Le fond d’azur rappelle l’ancien drapeau de Carillon; la croix parle de notre foi catholique. Le Sacré-Cœur est la réponse aux désirs exprimés par le Sacré-Cœur lui-même à sainte Marguerite-Marie. Les feuilles d’érable détachées de notre arbre national, parlent de jeunesse et d’espoir; enfin les fleurs de lys évoquent le souvenir de la vieille France.»
https://www.imperatif-francais.org/imperatif-francais/extra/histoire-des-drapeaux-quois-carillon-sacrcoeur/

Concernant la symbolique du Sacré-Cœur : « Rappelant l’ardent désir du Cœur de Jésus d’être aimé des hommes et de les sauver, sainte Marguerite-Marie ajoute : “Et il me fit voir qu’il fallait honorer (le Cœur de Dieu) sous la figure de ce Cœur de chair, dont il voulait l’image être exposée et portée sur soi et sur le cœur, pour y imprimer son amour et le remplir de tous les dons dont il était plein et pour y détruire tous les mouvements déréglés. Et que partout où cette sainte image serait exposée pour y être honorée, il répandrait ses grâces et bénédictions.” »
https://www.sacrecoeur-paray.org/experimenter/le-message-de-paray-le-monial/de-jesus-a-sainte-marguerite-marie/]

 

[iii]              Il est possible que les jeunes militants du FCF se soient rencontrés au sein du Mouvement des Jeunes Souverainistes, « un regroupement national créé [à l’automne 2019] dans le but d’unir tous les souverainistes québécois.es progressistes, passionné.es et assoiffé.es de liberté ». Le MJS est principalement organisé autour d’un groupe Facebook du même nom, groupe dont les jeunes militants du FCF sont tous membres… et toujours très minoritaires dans leurs prises de position. En effet, la jeune organisation semble marquée à gauche, proche de l’écologie et pas très éloignée des idées décoloniales. Sans pouvoir l’affirmer, on pourrait donc penser que le FCF s’est formé en réaction à l’isolement qu’éprouvaient nos jeunes réactionnaires. Incapables de faire pencher le MJS à droite, ils auraient créé leur propre structure dans la tradition ultranationaliste ancrée à l’extrême droite.

 

[iv]               Cette définition synthétique offre un cadre de référence utile pour cerner certaines caractéristiques communes aux mouvements fascistes et fascisants à partir de l’étude de ces mouvements tels qu’ils se sont eux-mêmes décrits ou exprimés. Comme nous l’indiquons par ailleurs dans notre FAQ, il est très difficile de donner une définition précise et clairement délimitée du fascisme « générique », car ses différentes itérations contemporaines n’adoptent pas forcément à l’identique chacune des caractéristiques du fascisme « historique » incarné dans le régime de Mussolini en Italie ou dans le Troisième Reich en Allemagne.
https://montreal-antifasciste.info/fr/faq/

 

[v]               Cette rupture a entraîné des tensions et tractations se prolongeant pendant des années, mais aussi des rapprochements, jusqu’à ce que l’ordre d’excommunication soit finalement révoqué en 2009. Entre temps, un autre ordre religieux, la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, avait été fondé par le Vatican en guise de solution intermédiaire pour les fidèles toujours attaché-e-s au rite latin, mais réticent-e-s à s’associer aux lefebvristes (temporairement excommunié-e-s).

 

[vi]              Concernant cette affaire, lire :
https://www.theguardian.com/commentisfree/2009/feb/19/richard-williamson-lefebvre

 

[vii]              Curieusement, une autre entité « Mouvement tradition Québec » est aussi inscrite au registre des entreprises, celle-là au nom de la Fraternité Saint-Pie X, sous la direction de Daniel Couture, Olivier Berteaux et Davide Pagliarani. Ce qui laisse supposer que tout n’est pas si paisible au paradis des ultracathos…
https://canadafidele.com/2017/02/03/le-mouvement-tradition-quebec-seteint/

 

[viii]               Au milieu des années 1990, Louis-Michel Guilbault a produit un journal périodique intitulé le Lys Blanc, où il faisait la promotion d’une synthèse monarchiste, lefebvriste, antisémite et ouvertement fasciste. À la même époque, Guilbaut, qui est lui-même un membre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, s’est adressé aux lefebvristes à l’Université Laval à l’invitation du Cercle d’études des jeunes catholiques traditionalistes (CEJCT)

 

[ix]              Cosignée par « vingt-neuf hommes […] allant de 18 ans à 44 ans [qui ont] décidé pour le moment de garder l’anonymat, certains ayant conscience des conséquences qu’une telle lettre pourrait avoir sur leur emploi, ou leurs études. »

 

[x]            Ce texte signé par Vincent Benatar mobilise le concept du « Grand remplacement », une théorie raciste en soi, fort répandue à l’extrême droite, qui fantasme que les populations immigrantes des pays du Sud ambitionnent de submerger par le nombre leur pays d’accueil, ici le Québec, afin d’en remplacer volontairement les populations.

Le terme « Grand remplacement » a été inventé par l’auteur français Renaud Camus dans un livre du même nom publié en 2011, où il affirme l’existence d’un vaste complot des élites mondiales pour remplacer la population française par des immigrant-e-s du Sud. Il s’agit en fait de la énième théorie du complot raciste qui affirme essentiellement la même chose, à savoir que les « élites » (généralement assimilées au Juif-ve-s) orchestrent les mouvements migratoires en provenance des pays du Sud afin d’anéantir les populations blanches « indigènes ». Dans le contexte contemporain, ce genre de proposition trouve une forte résonnance, car les privilèges « raciaux » et de classe d’un grand nombre d’habitant-e-s d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord sont effectivement déstabilisé-e-s par les mécanismes du capitalisme mondialisé, non pas tant comme résultat d’un complot particulier, sinon comme conséquence de tendances économiques et politiques plus profondes dont même la classe dirigeante n’est pas nécessairement satisfaite, mais qu’elle se trouve incapable de renverser. La panique et la paranoïa raciales sont des réactions à ces changements de la part de ceux et celles dont l’identité même est étroitement liée à ces privilèges historiques. Le remplacement d’un mode de vie fondé sur l’oppression et l’exclusivité raciales, pour ces personnes, revient à remplacer le seul mode de vie qu’elles estiment digne d’être vécu.

Au fil de l’histoire, ce type d’anxiété raciale paranoïaque s’est manifesté et répété encore et encore; c’est toutefois ce terme, le « grand remplacement », qui s’est récemment imposé et a été adopté par des assassins nazis, comme les auteurs des massacres de Christchurch et d’El Paso, et les fanatiques qui marchaient à Charlottesville en scandant « Les Juifs ne nous remplaceront pas » [Jews will not replace us], ainsi que par plusieurs politiciens désireux d’exploiter cette inépuisable réserve d’anxiété blanche. Au Québec, le concept correspond parfois aux idées mises de l’avant par certains intellectuels nationalistes (pas nécessairement d’extrême droite) selon lesquelles il y a eu, ou il existe encore, une tentative soutenue de génocide à l’endroit de la majorité historique canadienne-française (citant à l’appui l’exode des Acadien-ne-s ou le Rapport Durham).

Pour les fachos comme Vincent Benatar, ce « Grand remplacement » serait donc un état de fait inéluctable auquel il faut se préparer. Pour cela, les Canadiens français devraient s’unir dans un tout homogène, hermétique, exclusif et, évidemment, catholique. La progression logique de cette stratégie consiste à contrôler toutes les institutions, politiques, médiatiques, mais aussi scolaires. C’est en fait une reconquête que propose Benatar, une véritable croisade chrétienne, pour ne pas dire… une « révolution ». Pour lire ce texte délirant :
https://vigile.quebec/articles/apres-le-grand-remplacement