Avertissement : cet article contient des éléments de racisme, d’homophobie et de transphobie extrêmes.
Il y a de cela presque exactement un an, Montréal Antifasciste publiait un article portant sur le Front canadien-français (FCF), un groupe nationaliste réactionnaire qui nous était jusque-là encore inconnu. Dans cet exposé, nous avions intégré une liste d’une dizaine de pages de mèmes associées à l’entourage du FCF qui reprenaient des thèmes classiques de l’extrême droite : anti-immigration, antiféministe, anti-LGBTQIA+, avec pour courant central un ultra-catholicisme arriéré aux forts accents de nationalisme blanc. Avec des noms comme « Mèmes evangéliste Duplessiste » et « Mèmes clérico-nationalistes du Canada français », ces pages offrent à des militant·e·s d’extrême droite un moyen commode de relayer à leurs abonné·e·s (et plus largement) un éventail de discours réactionnaires et souvent racistes, comme la tristement célèbre théorie du complot du « grand remplacement » et de nombreuses autres constructions analogues qui participent à la déshumanisation de différents groupes de personnes (immigrantes, noires et/ou racisées, LGBTQIA+, féministes, etc.).
La page Quebec.wingism, lancée sur Instagram en janvier 2020 (d’abord sous le nom Rightwingism.quebec), s’apparente aux pages de mèmes mentionnées ci-dessus, autant sur le plan esthétique que sur le plan du contenu politique. Bien que les mèmes, par définition, soient conçus pour être largement diffusés, il n’est pas rare que certaines pages reproduisent plus ou moins à l’identique le concept, le style et la teneur de pages existantes. C’est notamment le cas de Quebec.wingism, qui a repris le modèle d’autres pages « wingism », un phénomène né de l’activité du mouvement alt-right en ligne. Entre autres choses, deux articles déjà publiés au sujet de ce phénomène (par The Gauntlet, 2018, et AntiHate.ca, 2021) nous apprennent que la toute première page « wingism » a été créée au Canada par un étudiant de l’Université de Calgary.
Le format de ces pages est le suivant : il y a habituellement plusieurs admins, identifiés seulement par la première lettre de leur nom, et bien que ces pages se targuent d’offrir une plateforme à un large éventail d’idées politiques, elles sont généralement bien campées à l’extrême droite de l’éventail politique (de l’éconationalisme au fascisme) en intégrant parfois des éléments de l’iconographie nazie pour faire bonne mesure. Un nombre important de ces pages semble s’articuler en partie autour d’une obsession pour la théorie du complot du « grand remplacement », d’un goût pour le fascisme et d’une haine féroce envers les personnes de couleur, les personnes LGBTQIA+ (en particulier les personnes trans et non conformes sur le plan du genre) et les féministes. Il semble que ce format se soit avéré facile à reproduire, puisque des individus dans différentes parties du monde s’en sont emparé en déclinant minimalement le contenu politique et la forme (surtout des mèmes passés au filtre fashwave/vaporwave et une iconographie héritée de l’alt-right) à leur contexte particulier, toujours avec un sous-discours nationaliste blanc. C’est ainsi que les pages « wingism » contribuent activement au développement et à la dissémination d’un mouvement culturel d’extrême droite en ligne.
Bien qu’Instagram ait supprimé certaines pages « rightwingism », plusieurs comptes n’ont eu aucune difficulté à ouvrir une nouvelle page en modifiant à peine le nom de celle-ci (il n’est pas rare, par exemple, de voir « v2 » ou « v3 » affixé à un nom, signifiant la première ou la seconde renaissance d’une page suite à son bannissement).
La page de mèmes Quebec.wingism a été créée dans ce même moule : des personnages fascistes et réactionnaires passés au filtre vaporwave/fashwave, une islamophobie décomplexée, des accents de nationalisme blanc et d’« ethnonationalisme », un racisme virulent, un antiféminisme primaire et une transphobie sardonique, le tout enveloppé d’un nationalisme québécois plus ordinaire. Les pages « wingism » se spécialisent dans le recyclage d’idées réactionnaires répulsives au moyen de filtres « cool » et de personnages de dessins animés « comiques », tout en se cachant derrière le déni plausible que confère un détachement ironique et une forte dose de confusionnisme. Si cette description vous donne l’impression que ce phénomène s’inspire largement des mystifications qui ont fait le succès du mouvement alt-right, on ne peut qu’être d’accord avec vous. Les pages « wingism » recyclent inlassablement les vieux mèmes poches de « Pepe » et les mêmes effets « basés » qui puent le racisme numérique de la période 2015-2019. En fait, l’alt-right n’est jamais disparu d’Internet; il n’a fait que muer.
LE SALON DE DISCUSSION PRIVÉ
Lorsque les administrateurs de Quebec.wingism ont annoncé qu’ils allaient créer un salon de discussion privé sur Instagram, en novembre 2020, ils ont permis à un groupe d’une vingtaine de participants d’accéder à leurs réflexions sans filtres, à leurs stratégies ainsi qu’à leur entourage. Montréal Antifasciste a réussi à avoir accès à ce salon de discussion privé, qui est ouvert depuis plus de six mois maintenant. Cet accès nous a notamment permis de voir les participants se livrer à des campagnes concertées de harcèlement en ligne. Une série de malencontreuses indiscrétions nous a également permis d’identifier plusieurs membres et de confirmer l’implication de certains participants dans des groupes nationalistes blancs, comme Génération identitaire en France.
Le « grand remplacement »
Le principal sujet de discussion est la théorie du complot connue sous le nom de « grand remplacement ». Il s’agit de la théorie (d’abord formulée par le théoricien français Renaud Camus) voulant que les élites occidentales inondent les pays d’Occident d’immigrant·e·s de couleur au moyen d’une « immigration de masse » afin d’y « remplacer » délibérément les populations blanches. Cette obsession des suprémacistes occidentaux procède d’une logique particulière et reflète certaines anxiétés que l’on retrouve aussi dans des courants dominants de la société, notamment sous la plume de chroniqueurs réactionnaires comme Mathieu Bock-Côté. Comme d’autres théories du complot, le mythe du « grand remplacement » est en partie fondé sur des faits observables : il est indéniable qu’il y ait aujourd’hui davantage, dans les pays dits « occidentaux », de mélange et de migration provenant de différentes parties du monde, menant à une baisse progressive du pourcentage relatif de la population de ces pays considérée « blanche ». L’aspect complotiste de cette théorie, cependant, n’a aucun fondement, car cette transformation démographique ne découle pas d’un effort concerté dirigé par quelque élite nébuleuse (laquelle « élite » étant d’ailleurs plus souvent qu’autrement désignée par les adhérent·e·s de cette théorie comme une cabale juive, avec les sous-entendus antisémites que l’on devine), dans le but de précipiter le déclin de la population « blanche ». Nous assistons plutôt au résultat de schémas migratoires changeants, qui sont en eux-mêmes la conséquence économique et écologique actuelle de l’héritage colonial et de la dévastation que les pays occidentaux ont infligée aux pays du Sud global. À vrai dire, même sans ces facteurs historiques structurants, les transformations démographiques demeurent un phénomène complètement normal procédant naturellement d’une mobilité accrue de la population mondiale.
De manière générale, les animateurs de Quebec.wingism et leurs sympathisant·e·s essaient d’intellectualiser leur préoccupation raciste pour la composition ethnique du Québec en avançant deux arguments distincts : la première est leur désir que le Québec demeure « tel qu’il est », de manière à protéger sa culture. Leurs définitions de ce que cela signifie varient, mais la plupart décriraient ce statu quo comme blanc, catholique et francophone. Il est toutefois assez clair qu’ils ne désirent pas vraiment que la société québécoise demeure telle qu’elle est : ce qui est réellement souhaité serait de « revenir » à une version imaginaire, idéalisée du Québec prémoderne, où l’Église catholique retrouverait son influence dominante sur les affaires de l’État et des familles, où les femmes pondraient des bébés sur demande et où les politiciens régneraient en tyrans sur la société, à la manière d’un croisement entre Maurice Duplessis et Benito Mussolini. Cette distinction fait ressortir l’hypocrisie de leur prétention à conserver le Québec tel qu’il est, car ce qu’ils et elles veulent en réalité est de ramener la société tout entière à un paradigme régressif qui renierait ce que le Québec est devenu (et même, à vrai dire, ce qu’il était effectivement à l’époque).
Leur second argument consiste à blâmer entièrement les immigrant·e·s pour le manque d’intérêt à l’égard de la souveraineté du Québec. Ceci découle de leur peur que suivant la transformation de la réalité démographique, les gens seront de moins en moins intéressés à faire du Québec un pays. Ce à quoi nous n’avons pas grand-chose à répondre, à part que si votre vision d’un nouveau pays indépendant est considérée peu attrayante par l’écrasante majorité des nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes (y compris un très grand nombre qui ne sont pas anglophones, parlent français et représentent un vaste éventail de perspectives politiques, culturelles et socioéconomiques différentes), il est peut-être temps de s’interroger sérieusement sur la qualité et la pertinence du projet politique en question.
En fait, les anxiétés et les angoisses relatives au nombre de migrant·e·s racisé·e·s constituent un phénomène fort répandu en Europe et dans toutes les colonies de peuplement issues de la colonisation européenne, et sont la pierre angulaire des courants de pensée d’extrême droite dans l’ensemble du « monde blanc »[i]. Il est vrai qu’un tel développement rend leurs objectifs politiques considérablement plus difficiles à atteindre, puisque leurs projets sont indissociables du privilège blanc et de la majorité blanche, et que ces thèmes, il va sans dire, sont assez peu susceptibles d’intéresser les personnes de couleur. De plus, le racisme systémique/structurel, mécanique centrale de la suprématie blanche, avantage les personnes blanches de plusieurs manières : il leur réserve un meilleur accès au marché de l’emploi, les protège en bonne partie du profilage et de la brutalité policière, et leur garantit une meilleure qualité d’éducation, de meilleurs soins de santé, un meilleur accès aux prêts, etc. Les personnes racisées combattant déjà toutes ces formes d’injustice, il est évident que cette résistance n’ira qu’en s’agrandissant si une part de plus en plus importante de la population ne s’identifie pas comme « blanche ».
Le fait que la théorie du « grand remplacement », qui est tellement centrale dans leur analyse, ait inspiré plusieurs attentats de suprémacistes blancs partout dans le monde, notamment à Christchurch en Nouvelle-Zélande[ii], ne semble aucunement faire douter les participants de Quebec.wingism, puisqu’ils continuent d’en « amplifier le signal » allègrement au moyen de mèmes et d’arguments bancals, en plus d’en faire une prémisse majeure de leur conception politique du monde.
Les modérateurs de Quebec.wingism et les participants au salon sont manifestement obsédés par le « grand remplacement » (même si la plupart ne semblent pas croire qu’une telle opération relève d’un complot ourdi et mis en œuvre par les élites). Ils reviennent constamment à l’importance de la composition raciale du Québec, allant même jusqu’à dire que si le Québec n’est pas blanc et français, « ce n’est plus le Québec ». Comme nous le verrons plus loin, l’entourage de Quebec.wingism se complait dans son propre racisme et semble tirer un grand plaisir de relayer des mèmes qui déshumanisent les personnes noires et les immigrant·e·s, n’hésitant pas à troller d’autres pages Instagram, Facebook et Twitter pour y répandre leur haine.
En fait, il semble que la souveraineté du Québec soit loin d’être une priorité pour ce groupe, tandis que les sentiments racistes, anti-immigration, antiféministe et anti-LGBTQIA+ (en particulier à l’endroit des personnes trans et non conformes sur le plan du genre) occupent une place centrale. La souveraineté (et à l’occasion le fascisme) n’est apparemment proposée que comme un moyen justifiant la fin que constitue leur affabulation réactionnaire : un État traditionnaliste ultracatholique, ouvertement suprémaciste blanc et étroitement rattaché au groupe ethnique « canadien-français ».
La transphobie
Un autre aspect commun avec le mouvement alt-right tel qu’il s’est développé au cours des dernières années, la transphobie et l’attachement aux normes de genre rigides sont des éléments importants de la discussion qui reviennent constamment. Les participants au salon de discussion sont révulsés par l’existence même des personnes trans sur le web. Ils les ont déshumanisées au point de souhaiter qu’elles se suicident, parlent de les envoyer dans des camps de rééducation ou de les exécuter et s’entendent généralement pour dire que les personnes trans qui sont suicidaires le sont parce qu’elles sont atteintes d’un dérèglement mental (sans jamais reconnaître que le harcèlement, la discrimination et la violence qu’elles subissent constamment sont des facteurs majeurs d’une santé mentale fragile et de dépression).
Comme avec le racisme, même lorsque les participants du salon en question se fendent de longues et bavardes explications pour justifier leur haine, leur transphobie leur procure clairement beaucoup d’amusement, notamment lorsque des « raids » sont organisés contre les pages Instagram de personnes trans pour les appeler par leurs noms morts et les harceler en groupe. Il est évident que les admins de Quebec.wingism et leurs sympathisants n’admettraient jamais l’existence de leur privilège blanc et cishétéro; le fait de se mettre en bande pour harceler des communautés vulnérables sans la moindre compréhension de la gravité et de la violence de leurs actions est toutefois une manifestation claire d’un tel privilège. Et comme on peut s’y attendre, ce sont toujours les premiers à déplorer le « harcèlement » dont ils sont les pauvres victimes lorsque des articles détaillant leurs activités (comme celui-ci) sont publiés.
Le racisme anti-Noir
Nous avons abordé le nationalisme blanc et la théorie du « grand remplacement » ci-dessus, mais ni l’un ni l’autre ne peut exister à moins de procéder en même temps à la déshumanisation des personnes devant être exclues de la société blanche idéalisée. Cette déshumanisation se manifeste par un racisme extrême, particulièrement un racisme anti-Noir. Que ce soit en se moquant du décès de personnes noires aux mains de la police, en s’amusant d’utiliser constamment le mot en N ou en présentant la criminalité, la propension au viol et le sous-développement comme des caractéristiques intrinsèques des personnes noires, Quebec.wingism et ses sympathisant·e·s régurgitent sans retenue et constamment toutes sortes de méchancetés déshumanisantes.
Le procès de Derek Chauvin (l’agent de police reconnu coupable du meurtre de George Floyd) donne un autre exemple de la manière avec laquelle Quebec.wingism essaie de promouvoir plus largement ses idées. Après avoir suggéré que « tout ce qu’on dit » est que George Floyd a été élevé au rang de saint, les admins laissent la section commentaires se remplir de propos racistes : le racisme étant bien sûr ici le sous-discours, le vrai message politique. Ce procédé, combiné aux vraies opinions exprimées librement mais en privé par les admins et sympathisants de Quebec.wingism, confirment notre interprétation du stratagème.
Leurs influences
Comme nous le verrons plus loin, les participants sont plutôt jeunes, pour la plupart entre 16 et 20 ans. Il est sidérant que ces personnes soient devenues nationalistes/suprémacistes à un si jeune âge. C’est un triste constat sur la prévalence du racisme et des tendances anti-égalitaires au sein de la culture « blanche » (au Québec comme ailleurs) et de différentes cultures sur Internet. À cet égard, un autre élément de leurs discussions qui nous semble digne de mention est leur emploi constant du jargon alt-right : « basé » (based), « redpillé » (red-pilled), « notregars » (ourguy), etc. Leurs stratégies empruntent également beaucoup à certaines tendances observées au sein du mouvement alt-right. En cherchant à présenter un visage « respectable » en public, notamment en s’éloignant du look tatoué/rasé des skinheads racistes du genre d’Atalante, ils essaient d’éviter les clichés du national-socialisme (en partie parce que « ça rebute les gens ») et cherchent à cacher leur « power-levels », ce qui, dans ce contexte, est un code pour le fond suprémaciste/nationaliste blanc de leur démarche. Autre caractéristique distinctive de l’alt-right, la tendance à recourir à différentes ruses confusionnistes, notamment en enrobant leurs propos de plaisanteries et d’ironie calculée de manière à se donner un déni plausible.
Bien qu’aucun des participants à la discussion privée ne s’identifie comme néonazi (en prétendant même désavouer le nazisme), ils n’ont aucun scrupule à intégrer l’iconographie néonazie dans leurs mèmes, comme en fait foi cette image qui combine le drapeau du Québec au sonnenrad, un symbole néonazi désormais bien connu. S’il peut être facile de prétendre que ces images ne sont que des blagues politiquement incorrectes, ce genre de chose fait pourtant partie de la stratégie employée par l’alt-right et le mouvement « Groyper » dans le but de véhiculer de plus en plus d’idées d’extrême droite dans les courants dominants de manière à déplacer les balises du discours public acceptable (la prétendue « fenêtre d’Overton ») et faire en sorte que des éléments de discours politiques autrefois jugés tabous soient normalisés.
La « Groyper Army »
Le mouvement « Groyper » (aussi connu sous le nom de « Groyper army ») est un mouvement nationaliste blanc, principalement implanté aux États-Unis, qui cherche à redorer l’image du suprémacisme blanc en l’assimilant à un retour aux « valeurs traditionnelles » comme le christianisme, et en recadrant leur racisme comme un simple désir de préserver ce qui est perçu comme l’identité blanche de leur pays. Le mouvement est aussi prompt à décrire toute tentative de combattre le racisme individuel ou systémique, par exemple la promotion de la diversité en emploi ou en publicité, comme des formes de « racisme anti-blanc ». Le but de cette opération est de déplacer les balises des discussions portant sur les moyens de combattre le racisme en recadrant le débat autour de leur concept alambiqué de racisme inversé, ce qui force leurs opposant·e·s à investir du temps et des efforts de bonne foi (chose rare sur Internet, surtout lorsque des trolls d’extrême droite sont impliqués) pour déconstruire leur tromperie.
Qu’on pense à leurs mèmes de type « rejette la modernité/embrasse la tradition », leur insistance sur le fait que le Québec serait fondamentalement une nation catholique, leur obsession pour le nationalisme blanc, leur transphobie ou leur entrisme dans différents partis ou organisations, l’approche « Groyper » correspond parfaitement à ce que fait Quebec.wingism. Bien qu’une personne peu familière avec les formes actuelles de l’extrême droite puisse méprendre Quebec.wingism pour un regroupement organique de libres-penseurs, le groupe et ses sympathisant·e·s n’est en réalité que la plus récente incarnation du racisme le plus classique.
Une autre influence majeure des animateurs de Quebec.wingism et de leur entourage est Alexandre Cormier-Denis et Nomos.tv. Cormier-Denis et sa chaîne sont mentionnés presque quotidiennement dans le salon de discussion privé, toujours en des termes dithyrambiques. Le principal administrateur de Quebec.wingism (M) a même carrément affirmé que Cormier-Denis était la raison pour laquelle il adhérait aujourd’hui à ses convictions politiques. Le groupe de discussion mentionne Nomos.tv ou Alexandre Cormier-Denis plus de 60 fois. Il a même été proposé de l’inviter à des événements futurs (comme l’ont déjà fait leurs amis du Front canadien-français).
Alexandre Cormier-Denis est un propagandiste d’extrême droite, émule québécois de Marine Le Pen et du Rassemblement national (ancien Front national). Avec sa chaîne YouTube, Nomos.tv, Cormier-Denis est l’un des principaux vecteurs du nationalisme ethnique/raciste et de la théorie du « grand remplacement » au Québec. Il est avec son acolyte Philippe Plamondon le principal animateur de l’organisation Horizon Québec actuel, une sorte d’antenne du Rassemblement national au Québec. Cormier-Denis s’est aussi fait connaître lors de sa candidature aux élections provinciales de 2017 sous la bannière du Parti indépendantiste, une organisation politique régulièrement décriée au fil des années pour sa proximité avec des militants néonazis.
Le début de la fin de leur anonymat
La page Quebec.wingism comporte trois administrateurs, identifiés seulement par les initiales « M », « D » et « H ». Chaque publication sur la page Instagram publique est signée par une initiale. Il est évident que « M » est le principal maître d’œuvre du projet, ayant facilement publié les trois quarts du contenu de la page. Il est aussi le raciste et transphobe le plus agressif de la bande. Quant à l’admin « D », on constate qu’il gère également la page « éconationaliste » @innawoods.qc. « H », pour sa part, ne publie presque rien et est pratiquement inactif.
Il a fallu beaucoup de patience pour identifier formellement les trois administrateurs, car ils gardent jalousement leur anonymat (quoique certains plus que d’autres) et sont terrifiés à l’idée d’être doxxés. Malheureusement pour le groupe, « M » a commis une série de bévues dans la discussion publique, notamment en affichant des captures d’écran d’une discussion avec d’autres élèves de son école, où quelqu’un l’interpellait par le prénom « Mathis » (et où l’on peut voir que l’icône de son profil indique « MD », laissant croire que son nom de famille commence par la lettre D). Même si ces éléments ont suffit à nous pointer dans la direction de Mathis Dubois-Lévesque, celui-ci n’avait pas fini de nous servir des indices révélateurs.
Cinq mois plus tard, Mathis annonce qu’il ira à la manifestation « En français, c’est non-négociable » le 21 mai 2021, un événement organisé par le Mouvement des jeunes souverainistes (un groupe dont ses copains du Front canadien-français se sont fait expulser l’année précédente). Après la manifestation, Mathis s’auto-identifie dans la conversation comme étant « celui qui porte une cravate », et en effet, on peut apercevoir Mathis Dubois-Lévesque y portant une cravate (ce qui est plutôt curieux en manif).
On aperçoit même Mathis Dubois-Lévesque faire un salut « White Power » en arrière-plan d’un selfie du député bloquiste Denis Trudel lors de cette manifestation!
Encore mieux que ça, Mathis offre une information précieuse dans la discussion de groupe en y écrivant : « D’ailleurs c’était la première fois où les trois admins étaient réunis au même endroit ».
Cette information s’est avérée particulièrement intéressante, puisque Mathis a été photographié en train de faire le pied de grue avec deux autres gars pendant une bonne demi-heure : bonjour, « D » et « H »! Le nom des deux autres administrateurs ne sera pas nommé ici pour des raisons données plus bas dans l’article.
Nous soupçonnions déjà depuis un certain temps que Xxxxx était l’admin « D », en ayant relevé plusieurs liens entre Quebec.wingism, son compte Innawoods.qc et le compte associé à son vrai nom. Que ce soit suite à deux recommandations d’un livre très précis en faisant à chaque fois référence à son école, ou parce qu’il a admis avoir un faible pour la députée Catherine Fournier sur les deux comptes, nous avions déjà la certitude que c’était la même personne, mais ça n’est que quand Mathis a mentionné que les trois admins étaient réunis à la manifestation que nous avons pu confirmer son identité.
Montréal Antifasciste a par ailleurs été en mesure d’identifier bon nombre des autres participants au salon de discussion privé.
LES ADMINS
Mathis Dubois-Lévesque (“M”)
Vit à Longueuil, QC
Représentant jeunesse du Bloc québécois dans Longueuil/Saint-Hubert
Membre du Parti conservateur du Québec
https://www.facebook.com/mathis.dubois.16906
https://www.facebook.com/mathis.dubois.26386298
https://www.instagram.com/foetuz_/
https://www.instagram.com/foetuz__/
https://twitter.com/DuboisLevesque
Mathis est le principal moteur du projet Quebec.wingism; à tel point que toutes les captures d’écran ci-dessus tirées de la page Instagram Quebec.wingism sont signées par lui. Il est aussi la seule personne qui publie sur la chaîne Telegram et est extrêmement actif dans le groupe de discussion privé. Des trois admins, c’est aussi lui qui exprime les opinions les plus ouvertement suprémacistes, xénophobes et transphobes. Il est obsédé par la composition raciale du Québec, à tel point qu’il est permis de se demander si ses autres opinions politiques ne sont pas en fait au service de ses penchants pour le nationalisme blanc. Par exemple, il évoque rarement la souveraineté du Québec, mais le « grand remplacement » est un thème qu’il reprend constamment, et les commentaires racistes au sujet des personnes noires et immigrantes sont aussi chez lui monnaie courante.
Mathis mentionne aussi régulièrement sur un ton approbateur des dirigeants associés à l’extrême droite, comme Augusto Pinochet (« un grand meneur »), et au conservatisme réactionnaire, comme Maurice Duplessis (« mon personnage historique préféré »). Ailleurs, il s’amuse du fait que le bras droit de Benito Mussolini, Italo Balbo, ait été accueilli par des « jeunes filles fascistes » lors de sa visite au Québec en 1933. Son obsession pour ces personnages au bilan antidémocratique le place peut-être en dehors des courants de pensée dominants, mais l’inscrit en droite ligne avec certaines traditions d’extrême droite au sein du mouvement nationaliste québécois, traditions plaçant les gouvernements d’extrême droite et profascistes au centre de leur héritage intellectuel et politique. (Lire à ce sujet ici et ici).
Mathis ne s’active pas que dans la sphère virtuelle : il est membre du conseil étudiant de son école (il se vante de chercher à y bloquer une motion visant à faire adopter une journée pour célébrer les personnes trans), il fait partie de l’aile jeunesse du Bloc québécois, et même s’il n’a pas signé ce message en particulier, nous tenons pour acquis que c’est lui qui dit s’être joint au Parti conservateur du Québec pour le pousser plus à droite par une stratégie entriste. Ainsi, Mathis Dubois-Lévesque, tout comme le projet Quebec.wingism, représente l’aile national-conservatrice de l’extrême droite québécoise, laquelle s’inspire des tendances culturelles et politiques actuelles de l’extrême droite internationale.
L’administrateur “D”
Même si Xxxxx est l’autre administrateur vraiment actif de la page Quebec.wingism, il est beaucoup moins prolifique que son camarade Mathis, publiant surtout du contenu relatif à la souveraineté du Québec ou affichant une hostilité générale à l’égard du Canada anglais. Récemment, il a commencé à s’identifier comme éconationaliste et a créé la page Instagram Innawoods.qc. Phénomène assez récent au sein du mouvement éconationaliste, le modèle « Innawoods » se propage sur des pages de mèmes et des babillards un peu de la même manière que les pages « (right)wingism »; les mèmes et les idées politiques sont copiés/collés et adaptés aux contextes nationalistes locaux. L’éconationalisme, un thème qui mérite sans doute son propre article, combine des idées de retour à la nature avec des éléments de la propagande nationaliste (frontières, xénophobie, désignations des migrant·e·s comme boucs émissaires, etc.). Les pages « Innawoods » incarnent ces valeurs éconationalistes tout en intégrant les mèmes (de plus en plus éculés) répandus sur les plateformes où sévissent les trolls d’extrême droite, comme le « Virgin v. Chad », ou le « Wojak ». Bien que le phénomène « Innawoods » n’ait pas encore été examiné en profondeur, il semble trouver son origine sur le babillard /k/ (armes à feu) de 4chan, avec le récit d’un individu considérablement surchargé d’armes à feu lors d’un voyage de chasse avec un ami. Fidèle à leurs origines, les pages « Innawoods » débordent de références aux armes à feu (et de machisme toxique). Tout comme dans le mouvement « Groyper » et les pages « Wingism », on y retrouve une grande quantité de mèmes de type « retour à la tradition/rejetons la modernité », des thèmes qui peuvent paraître attrayants à une époque caractérisée par l’effondrement climatique, mais qui comportent clairement un sous-texte de retour aux valeurs rétrogrades comme le patriarcat, le colonialisme et la xénophobie.
Les commentaires de Xxxxx au sujet du « grand remplacement » soulèvent la question : à quel point un nationalisme ethnique devient un nationalisme blanc ? C’est une question particulièrement importante à examiner au Québec, où subsiste une tendance lourde à analyser les développements politiques et culturels en des termes ethniques, ethnoculturels ou même raciaux. Cela a parfois créé un contexte propice aux déclarations et aux développements axés sur l’exclusion, que l’on pense à la tristement célèbre déclaration de Jacques Parizeau au sujet du « vote ethnique », au refus obstiné de François Legault de reconnaître l’existence du racisme systémique, ou encore au déferlement de haine contre les musulman·ne·s qu’on observe ici depuis une vingtaine d’années avec les conséquences funestes que l’on connaît. On pourrait dire que le nationalisme ethnique devient nationalisme blanc lorsque l’identité blanche (ou le racisme explicite) est placée au cœur des préoccupations et des aspirations, mais il existe de nombreux exemples où ça n’est pas forcément le cas, notamment lorsque certaines personnes expriment des anxiétés relatives au « déclin démographique » ou à l’urgence de « protéger notre culture ». Mathis Dubois-Lévesque, par exemple, dit explicitement que les immigrant·e·s francophones doivent être blanc·he·s pour être désirables, tandis que Xxxxx ne le spécifie pas. Leur collaboration à un projet clairement raciste comme Quebec.wingism, toutefois, en dit déjà assez long sur leurs valeurs communes.
Xxxxx s’implique auprès du Mouvement des jeunes souverainistes (MJS), notamment en ayant organisé une vidéo-conférence avec un groupe nationaliste catalan, en prenant des photos des actions du MJS et en participant aux échanges sur leur page Facebook. On se souvient que le MJS avait expulsé des membres du Front canadien-français (étroitement lié à Quebec.wingism) en juin 2020 en raison de leurs commentaires relatifs au nationalisme blanc.
Que la forme de nationalisme privilégiée par Xxxxx , qui est relativement courante au Québec, puisse cohabiter harmonieusement avec du contenu nationaliste blanc en dit long sur la pente savonneuse qui existe entre le nationalisme et le racisme débridé. Cela en dit long également sur la difficulté de délimiter nettement les différents courants de pensée politique à l’extrême droite, à plus forte raison dans un monde de mèmes ambigus, de sous-discours (dogwhistle), de confusionnisme et d’ironie calculée.
L’administrateur “H”
Même si Montréal Antifasciste a réussi à identifier l’administrateur « H », on ne le nomme pas ici parce qu’il n’a quasiment pas publié sur l’Instagram de Quebec.wingism, il n’était pas membre du groupe de clavardage privé, et a accepté de faire une sortie publique contre le caractère raciste du compte.
L’ENTOURAGE
Dans le salon de discussion privé (et dans les commentaires sous les publications de la page Instagram), environ une douzaine de personnes gravitent autour du projet Quebec.wingism. Plusieurs ont notamment participé de manière concertée à des « raids » contre d’autres pages (surtout du harcèlement transphobe), relayé des mèmes racistes et proposé des plans pour l’avenir. Voici quelques-un des participants les plus actifs :
Nicolas Gagnon (le_tsar_rouge)
Québec (Saint-Roch), QC
https://www.instagram.com/le_tsar_rouge/
Nicolas est un des seuls participants du salon de discussion privé qui utilise son vrai nom. C’est plutôt étonnant, puisqu’il y publie quotidiennement du contenu haineux sous la forme de « stories » Instagram, contenant généralement de longues diatribes contre les personnes non conformes sur le plan du genre.
Il semble en faire une véritable fixation, revenant constamment sur le sujet et sur le fait que nier le fondement « naturel » du genre est pour lui complètement ridicule. Bien qu’il passe une bonne partie de son temps à épiloguer sur ce qu’il présente comme les fondements idéologiques de ses opinions, sa réaction hilare à un mème évoquant le fait de tirer sur des personnes non binaires, ou encore son souhait explicite que ces personnes se suicident, soulignent le caractère hypocrite de ses remarques paternalistes à l’effet que « ces gens souffrent ».
Il convient de noter que cet aspect s’inscrit aussi dans une tendance internationale. La dérision et la violence à l’égard des personnes trans et non conformes sur le plan du genre sont devenues un thème majeur au sein de l’extrême droite, remplaçant l’homophobie pour plusieurs. Cette attitude se manifeste par un discours alarmiste à propos des enfants et des jeunes trans et d’événements anecdotiques (comme les drags queens qui font la lecture aux enfants), par une célébration des meurtres de personnes trans et par l’organisation de campagnes de harcèlement en ligne (comme les « raids » organisés sur Quebec.wingism). C’est un phénomène auquel il nous faut porter attention au moment où des transformations culturelles rapides renversant des oppressions de longue date coïncident et se confondent avec les ressacs racistes décrits ci-dessus : celles-ci peuvent en effet servir de passerelle à certaines sections insatisfaites de la gauche et des mouvements féministes qui s’accrochent à leurs propres traditions de transphobie et de conservatisme de genre.
La haine manifestée par Nicolas Gagnon ne se limite pas aux personnes qui contestent les orthodoxies de genre. Il tourne souvent autour du thème de la race, critiquant la « critical race theory » et ridiculisant le concept même de racisme systémique. Dans le salon de discussion privée, il brode longuement sur les raisons de sa xénophobie : « Les nouveaux immigrants vont se faire dire “il n’y pas UNE culture européenne“, “il n’y a pas UNE religion européenne“, (…) Fack on va se diluer! Et plus il y aura de non assimilé, plus les nouveaux n’auront pas de culture de référence et donc ne s’assimileront pas. » Un autre jour, une autre diatribe : « ils viennent ici et profittent (sic) de nos pays confortables et en prime il faudrait dire que cette culture et ce pays nous l’avons construit ensemble? Fuck off »
A*** L****
(nfs.wakhan, patria.nostra.media, federalist.authoritarian, federalist.authoritarian.v2, france.imperiale, french.authoritarian, etc.)
Membre de Génération Identitaire (Montpellier, France)
https://www.instagram.com/nfs.wakhan/
https://www.instagram.com/sencry__off/
Peut-on imaginer un groupe de nationalistes québécois de droite sans une poignée de fascistes français au travers pour faire bonne mesure? A*** L**** est un membre de Génération identitaire[iii] basé à Montpellier, en France, qui semble avoir manqué une leçon ou deux en matière de culture de sécurité (surtout pour un membre d’un groupe désormais banni en France). Il a accordé une entrevue sous son vrai nom et à visage découvert, s’identifiant lui-même comme un « militant identitaire ». Il semble que même les gens de Génération identitaire se soient montrés irrités par son manque de circonspection.
A*** est un exemple patent de l’inefficacité des méthodes employées par les grandes compagnies de médias sociaux pour bloquer les discours haineux. Ses comptes sont supprimés à répétition (que ce soit pour son utilisation du logo de Génération identitaire ou à cause d’autres éléments de contenus problématiques), mais il n’a aucune difficulté à en créer de nouveaux pour poursuivre ses activités.
Quebec.wingism semble d’ailleurs s’aligner sans réserve avec Génération identitaire. Ses participants n’ont que de bons mots pour cette organisation, en disant « on compte sur vous » et en encourageant les abonné·e·s à suivre le compte d’A*** rattaché à Génération identitaire.
A*** laisse tomber les révélations croustillantes l’une après l’autre, comme lorsqu’il révèle : « Si les flics font une descente chez moi je suis mal dans mon tel j’ai le manifeste de Kaczsynski et celui de Anders Breivik + un plan pour faire une arme à feu avec une imprimante 3d (totalement interdit en France) ». Même si cet aveu compromettant a été fait sous l’un de ses comptes aujourd’hui supprimés (federalist.authoritarian), on constate qu’un autre utilisateur lui répond immédiatement en marquant le nom de son compte. Il poursuit en disant : « Btw ceux qui veulent venir préparer le coup d’état militaire pour établir le second état français type Pinochet on est dessus mdr ».
Dans une sorte de réveil brutal quant à ce qui peut se produire dans le vrai monde lorsqu’on répand la haine, A*** s’est fait casser la gueule par « trois antifas » après que lui et ses amis aient passé la journée à harceler les participant·e·s d’un rassemblement LGBTQ à Montpellier. A*** relate l’histoire en détail, allant jusqu’à révéler généreusement les prénoms de ses camarades et suppliant les autres participants de ne pas signaler à ses parents qu’il s’est fait tabasser, parce que « si je dis que c’est de la politique je suis dans la merde ».
Baptiste Balanger (gandalf2982)
Montréal (Outremont), QC
https://www.facebook.com/baptiste.balanger
https://www.instagram.com/gandalf2982/
https://www.youtube.com/user/SpartanxD29/feed
Français lui aussi (il y en a quatre dans le groupe de discussion), Baptiste vit à Montréal. Originaire de Montauban, il a fréquenté l’école à Toulouse (où il a aussi été membre de Génération identitaire). Il semble qu’il soit passé brièvement par l’armée de l’air française avant de s’installer au Québec.
Baptiste partage les préoccupations des autres participants de Quebec.wingism à l’égard du « remplacement démographique », formulant des commentaires tels que : « En France aussi ils ont cru pouvoir intégrer à la nation française toutes les races du monde. Le résultat est un pays au bord de la guerre civile. » Un refrain courant au sein de l’extrême droite est de blâmer les immigrant·e·s pour leur échec supposé à s’intégrer à la société. Ceci en ignorant bien commodément la montagne d’études qui démontrent que les qualifications professionnelles des immigrant·e·s sont constamment ignorées et que le racisme systémique entrave leur intégration en multipliant les obstacles à l’emploi et au logement sur la base de facteurs aussi arbitraires que le caractère « étranger » de leur nom. Cette tendance à blâmer les victimes est analogue à leur insistance sur le fait les personnes trans sont dépressives en raison de ce qui est perçu comme un dérèglement mental (et non du harcèlement constant et de la discrimination).
Baptiste a été l’un des premiers participants à écrire que Quebec.wingism devrait organiser une manifestation (ou un déferlement de bannière) pour dénoncer le « grand remplacement », ce qui indique que certains membres du groupe sont à tout le moins ouverts à passer à l’action « dans la vraie vie ».
Philippe Provost (philippe_de_yaourt)
CEGEP de Sherbooke (arts visuels)
http://facebook.com/philippe.provost.3
https://www.instagram.com/de_yaourt/
https://www.instagram.com/philippe_de_yaourt/
https://www.linkedin.com/in/philippe-provost-0b018117a/
Il ne nous a pas été très difficile d’identifier Philippe Provost. Son compte Instagram d’extrême droite partage un grand nombre d’amis avec son compte Facebook à son nom (dont Mathis Dubois-Lévesque). De plus, il admet dans le salon de discussion être derrière le compte « Ribambe » sur Twitter, lequel est abonné à un membre de sa famille (Gabriel Provost). Son compte Instagram d’extrême droite est abonné à d’autres membres de sa famille (dont Pascal Provost). Ces indices, ainsi qu’une demi-douzaine d’autres liens, nous ont permis de conclure que le compte Instagram philippe_de_yaourt appartient en fait à Philippe Provost. Celui-ci garde jalousement son anonymat; la seule photo que nous avons de lui date de 2017.
Son compte Twitter semble n’exister que pour répandre de la haine raciale et des commentaires génériques poussant la théorie du « grand remplacement » en réponse à d’autres utilisateurs·trices de Twitter.
Tandis que les autres essaient de dissimuler leur racisme derrière un assortiment de distractions pseudo-intellectuelles et de points de clivages confusionnistes, Philippe Provost joue au sein de ce groupe le rôle du raciste vulgaire un peu gênant. Il se distingue en étant le plus doué du lot pour relayer de la merde raciste dans le salon privé; il laisse libre cours au racisme anti-Noir le plus grossier, encourage les autres participants à utiliser le mot en N le plus souvent possible (en précisant que la version « mot en N » est « gai »), relaie des mèmes déshumanisants à propos des personnes noires, crache sa bile sur les femmes qui portent le hijab et se complait de manière générale dans son propre racisme.
Vincent Benatar
Montréal, QC
https://www.facebook.com/vanbn924582
https://www.instagram.com/vbenatar97/
Telegram: @VinceBen24
Vincent Benatar est l’un des trois membres du Front canadien-français qui participent au salon de discussion privé de Quebec.wingism (avec « Pensées laurentiennes », présumé appartenir à Jean-Philip Desjardins-Warren, et le compte collectif du FCF). Benatar, dont nous avons déjà parlé dans notre article sur le FCF, n’y participe toutefois pas très souvent. La seule raison pour laquelle nous le mentionnons ici est un échange particulièrement révélateur qu’il a eu avec Philippe Provost et un administrateur non-spécifié de Quebec.wingism au sujet de la nécessité de déployer au Québec une stratégie de type « Groyper ». Après que l’admin eut suggéré « pourquoi pas nous », Benatar répond : « jveux dire, la stratégie groyper avec le mjs [Mouvement des jeunes souverainistes] on la essayé; on s’est fait bannir; ça a fini avec notre doxx; On a essayé »
Il admet explicitement avoir fait ce dont le MJS l’a accusé, lui et le FCF, soit d’infiltrer le groupe sur une base individuelle pour y introduire des thèmes d’extrême droite chacun de leur côté, comme le nationalisme blanc, mais en coordonnant leurs efforts en privé. La déclaration de Benatar confirme que le FCF déployait effectivement une stratégie entriste pour tenter de pousser le MJS vers le nationalisme blanc, ce qui correspond précisément à la stratégie « Groyper ».
Cela démontre que des articles comme celui-ci ou comme celui que nous avons publié pour exposer le Front canadien-français fonctionnent, en alertant nos communautés sur ce que font ces gens-là en coulisses.
Conclusion… et dernières rigolades pour la route
Comme en témoigne la longueur du présent article, on retrouve plusieurs perspectives politiques associées à l’extrême droite sur la page Quebec.wingism (et dans leur salon de discussion privé). Celles-ci vont d’un nationalisme québécois blâmant les immigrant·e·s pour le manque d’intérêt actuel à l’égard de la souveraineté du Québec, aux aspirants fascistes qui rêvent du jour où l’on alignera les personnes non conformes sur le plan du genre au pied d’un mur pour les exécuter. Le fil conducteur qui les unit est la théorie du « grand remplacement », dont on a essentiellement éliminé l’aspect complotiste (soit qui proviendrait d’un complot ourdi par quelque élite occulte), mais qui n’en demeure pas moins une obsession employée pour justifier un certain nombre d’opinions rétrogrades. On s’en sert tantôt pour expliquer pourquoi le Québec ne sera jamais en mesure de se séparer, tantôt pour justifier un barrage de propos racistes et suprémacistes, ou encore pour faire valoir le fascisme comme option politique désirable. Sans le savoir, ce groupe offre un puissant rappel de ce que différents types de nationalisme d’extrême droite peuvent incarner et de comment ces différentes perspectives (ethnonationalisme, éconationalisme, nationalisme blanc, suprémacisme blanc, fascisme) comportent assez de points communs pour cohabiter harmonieusement au sein d’un seul et même projet.
La proportion des personnes qui s’identifient comme « blanc·he·s » diminue effectivement dans certaines parties d’Europe, et c’est d’autant plus vrai dans les colonies de peuplement issues de la colonisation européenne. Il s’agit d’un phénomène tout à fait normal dans un monde qui est de plus en plus caractérisé par la mobilité, où les gens attachent de moins en moins d’importance à la « race » de leur partenaire et où la plupart des gens se rendent compte qu’on ne produit pas de la richesse culturelle en encapsulant une version raciste et sclérosée d’un pays ou d’une « nation ». C’est aussi une conséquence prévisible du processus par lequel, pendant plusieurs siècles, les Européen·ne·s se sont rendu·e·s aux quatre coins de la planète pour coloniser d’autres peuples, dévaster des sociétés entières économiquement et écologiquement, et s’approprier la part du lion des richesses du monde pour les rapporter vers les sociétés historiquement « blanches ». Le fait d’interpréter aujourd’hui ce phénomène mondial comme une justification pour le racisme et le fascisme, en se centrant sur la fragilité blanche et en adoptant une posture victimaire dans le but implicite de perpétuer la suprématie blanche, relève d’une identification à cette longue histoire d’oppression raciste.
Même si le projet Quebec.wingism repose en grande partie sur les épaules d’une seule personne (Mathis Dubois-Lévesque), les différents trolls et sympathisants qui s’y sont associés démontrent bien comment de tels projets peuvent devenir des points de rencontre et des tremplins pour de futures activités. Nous avons cru utile de braquer les projecteurs sur Dubois-Lévesque et les trolls les plus actifs impliqués dans Quebec.wingism, car l’un des aspects de leur démarche consiste à promouvoir des discours d’extrême droite en infiltrant d’autres groupes pour y soulever des « questions innocentes », y introduire des « sous-discours » subversifs (dogwhistle politics) et y propager des mèmes racistes en se cachant derrière une fausse ironie facilitant le déni plausible. En même temps, leurs « raids » contre des personnes trans et non conformes sur le plan du genre ainsi que leur propension pour les mèmes racistes traumatisants, même s’ils se limitent à la sphère virtuelle, constituent des formes de violence bien réelles, pour lesquelles ces individus doivent être tenus responsables. Nous ne doutons pas qu’ils détesteront être identifiés et dénoncés de la sorte : c’est d’ailleurs un peu le but de l’opération. Reste à savoir s’ils profiteront de ce moment propice à l’apprentissage pour réfléchir aux raisons pour lesquelles ils sont devenus obsédés par leur blanchité et leur hétéronormativité à un si jeune âge, ou s’ils s’enfonceront encore plus dans l’intolérance. Quoi qu’il en soit, nous ferons en sorte qu’ils ne puissent pas poursuivre sur cette voie impunément.
Rions un peu…
Dans la foulée de l’expulsion des membres du Front canadien-français du Mouvement des jeunes souverainistes, un certain nombre de personnes sont sorties de nulle part pour venir à leur défense et déplorer le fait que le MJS soit aussi « intolérant » et « fasciste ». Maintenant que nous savons un peu mieux qui se trouve derrière le projet Quebec.wingism, nous pouvons revisiter quelques-uns de ces commentaires et constater à quel point ils ont mal vieilli… :
Dude! Nous avons été en mesure de produire un article au complet débordant d’exemples explicites, avec seulement une fraction de la haine dans laquelle toi et tes amis vous complaisez…
Et pourtant, en privé, c’est une tout autre histoire…
Une autre source d’amusement au milieu de toute cette merde glauque : « Quand leur article est sorti [sur le Front canadien-français], les admins [de Quebec.wingism] on s’est mis à avoir une petite crainte d’être également visés mais au final il nous est rien arrivé ». Suivi de « On a été beaucoup plus discrets que le FCF alors on a pas été doxxé »…
[i] La théorie du « grand remplacement » s’apparente à plusieurs égards à d’autres théories du complot qui reprennent essentiellement les mêmes thèmes, comme celles du « génocide blanc » et du « Plan Kalergi », des théories qui ressurgissent sporadiquement dans les milieux d’extrême droite et suprémacistes blancs et n’ont aucun fondement dans la réalité.
[ii] Mais aussi El Paso, Poway, etc.
[iii] Génération identitaire (initialement l’aile jeunesse du mouvement Bloc identitaire) est un groupe d’extrême droite nationaliste blanc qui a vu le jour en France. GI fait partie du mouvement « identitaire » plus large, qui comprend des groupes dans toute l’Europe, comme Defend Europe, ainsi qu’aux États-Unis (Identity Evropa, aujourd’hui American Identity Movement). Entre autres actions, en 2017, GI a affrété un bateau dans le but d’intercepter des migrants en mer Méditerranée pour les empêcher d’entrer en Europe (détails des échecs spectaculaires de leur projet sont documentés ici). Les nombreuses frasques de Génération identitaire, comme le fait d’imiter des paramilitaires ou de contrôler les frontières françaises pour essayer de bloquer les migrants, ont fini par entraîner leur dissolution par décret gouvernemental plus tôt cette année.